Ce soir-là, au Métropolis, il y avait une première ministre.

Heureuse, digne, soulagée, elle n'avait pas manqué son rendez-vous avec l'Histoire. Première femme à prendre les commandes de la nation. Une grande étape de franchie dans l'évolution des Québécoises et donc, des Québécois aussi.

Ce soir là, au Métropolis, il y avait un assassin.

Enragé, frustré, dérangé, il n'acceptait pas l'élection d'un parti souverainiste. Et il s'apprêtait à libérer ses démons.

Ce soir-là, au Métropolis, il y avait un technicien.

Fatigué sûrement, après 24 heures de travail. Il lui restait encore à démonter la scène lorsque la fête serait terminée.

Je n'ai jamais côtoyé de premier ministre ou d'assassin, mais ça fait près de 30 ans que je travaille avec des techniciens de scène. Je les connais bien. Ce sont toujours les premiers arrivés. Ceux qui installent, ceux qui préparent, ceux qui ajustent. Ce sont toujours les derniers partis. Ceux qui ramassent, ceux qui nettoient, ceux qui remballent. D'humbles travailleurs. Non seulement ils sont dans l'ombre, mais en plus, ils s'habillent en noir pour être bien sûrs qu'on ne les verra pas. Pour qu'une étoile brille, ça prend la nuit. Ils sont la nuit. Et aucune star n'existe sans eux.

Ce sont les bras, le coeur et la sueur de tous les spectacles. Quand les techniciens sont motivés, c'est que votre show est bon. Quand ils ne le sont pas, oubliez ça, ça ne fonctionnera pas.

Ils sont entiers, dévoués, souvent cyniques, comme tous ceux qui observent les choses de l'intérieur. Et surtout, ils sont solidaires. Ils se tiennent entre eux. Aussi solidement que lorsqu'ils marchent sur une poutre, juchée 50 pieds en l'air, pour aller installer une lumière. Ils savent qu'il faut être plusieurs pour réussir quoi que ce soit. Et que chacun doit faire sa part, et que chacun doit faire attention à l'autre.

La première ministre était en train de parler. De féliciter ses troupes, de saluer ses adversaires, de remercier les électeurs.

L'assassin a trouvé une entrée par où passer, pour aller exécuter son cauchemar.

Le technicien aurait alors tenté de l'en empêcher.

Souvent, quand se produit ce genre de drame, tout le monde fige. Personne n'intervient. Et le monstre entraîne plein d'âmes dans son enfer. Le technicien, lui, a agi. C'est le réflexe de son métier. Tout faire pour que tout se déroule comme prévu. Tout faire pour que la vedette ne soit pas dérangée. Tout faire pour que le public ne s'aperçoive de rien. Tout faire pour que le show continue.

Et le show a continué.

La première ministre a fait une sortie côté jardin. Le metteur en scène est venu rassurer la foule. La première ministre est revenue terminer son discours. Le public a quitté les lieux.

Le suspect a été arrêté. Son arme se serait enrayée. Avant le grand massacre.

Et le technicien est mort.

Dans le noir.

Sans que personne le sache. Ni sur scène ni dans la salle.

Denis Blanchette aura été un homme de l'ombre jusqu'au bout.

Si ça se trouve, Richard Bain a fait ce qu'il a fait pour en sortir. Comme Manson, comme Chapman, comme les autres désaxés. Il voulait passer à l'Histoire, lui aussi.

Et il a malheureusement réussi. Tout le monde connaît maintenant son nom et son visage. Cette triste célébrité poussera peut-être d'autres fous à essayer de l'imiter.

Voilà pourquoi il faut parler de Denis Blanchette. Honorer sa mémoire. Vanter son courage. Pour que ça nous inspire la même attitude. À essayer nous aussi de stopper la folie. Au lieu de regarder ailleurs, au lieu de dire que l'on n'y peut rien.

C'est bien beau, vouloir être une star. Mais c'est tellement bien, aussi, de vouloir être un technicien.

Merci, Denis.