Ma blonde n'aime pas la chaleur. Moi, si. J'aurais aimé aller en Italie. Nous sommes en Normandie. L'homme a le contrôle de la télécommande. La femme a le contrôle des destinations vacances. C'est ainsi.

Je vous confirme que ce n'est pas la Sudmandie. C'est très au nord, la Normandie. Il fait 15°. Avec le facteur vent, au bord de la mer, il doit faire 0°. Ici, pas de seins nus comme sur la Côte d'Azur. Les seins sont bien couverts, les ventres, les fesses, les cuisses, les mollets, les pieds, les épaules et les cous aussi. Je crois que j'ai les doigts bronzés.

Johnny ne prend pas ses vacances dans le coin. C'est plus un endroit pour Bonhomme Carnaval. Il est certain de ne pas fondre.

Mais c'est beau, vraiment beau. Car la fraîcheur, c'est connu, sait mieux conserver la beauté. Rien de flétri. Rien de séché. Tout est vigoureux. Tonifié. Les fleurs sont nombreuses et vaillantes. Elles poussent sans s'arrêter. Et embellissent toutes les maisons. Même les plages sont vivantes. Pas de bedaines échouées en train de se faire toaster. Des gens qui courent, des cerfs-volants, des surfeurs, des chiens enjoués, des enfants entrepreneurs en construction de châteaux de sable. Pas de farniente. Que de l'activité.

Partout dans le monde, la plage est synonyme de futilités, de grande paresse, d'yeux fermés et de corps crémés. Sauf ici. Ici, la plage est synonyme de valeurs, de grands sacrifices, d'yeux grands ouverts et de corps ensanglantés. Impossible d'y être sans penser au matin du 6 juin 1944, quand des milliers d'hommes se sont lancés vers elle pour sauver le monde. Ce sont ces grains de sable qui ont changé le cours de l'histoire.

Nous sommes allés à Omaha Beach et à Juno Beach, là où les Américains et les Canadiens ont débarqué. Respect. On dirait qu'ils sont encore là. Dans chaque vague qui se brise pour que vive la suivante. Dans le grand vent que l'on respire. Cet air de liberté, c'est à eux qu'on le doit. Tous ces soldats Ryan ou Tremblay qui sont descendus des vaisseaux en courant vers les tirs allemands sont des héros. Dans le vrai sens du mot. Il faut venir en Normandie, ne serait-ce que pour leur dire merci.

Nous sommes allés aussi à Honfleur. Un nom de ville qui se termine par fleur, ça ne peut être que joli, et ce l'est. Le port est si beau qu'il donne envie de revenir à tous ceux qui en partent. Quoique, heureusement pour nous, certains aventuriers ont préféré rester de l'autre côté de l'horizon. C'est ici que Champlain s'est embarqué pour sa grande traversée jusqu'à la découverte du Québec. Et quand on regarde l'architecture, on constate que le Vieux-Québec était au XVIIe siècle le nouveau Honfleur, tant on s'y sent chez soi.

On ne va pas en France pour se dépayser, mais pour se repayser. On régénère nos racines. Voir si elles sont encore bien ancrées. Question de moins perdre de feuilles. Ce sont plus que nos cousins. Ce sont nos grands-parents. Ceux sans qui nous ne serions pas ce que nous sommes. Qu'on le veuille ou non, on n'aurait pas le même nom. On ne partage pas seulement la même langue, mais la même culture et aussi les mêmes problèmes. En ce moment, les sujets chauds en France, c'est la faillite des universités, les noyades, les festivals et l'avenir de l'usine Rio Tinto Alcan de Castelsarrasin. On écoute France Inter, on se croirait au 98,5. On gagnerait à être plus près, Français et Québécois. D'égal à égal, en amis. C'est si rare, des nations amies. On pourrait s'aider à résister à tout ce qui veut nous effacer. Sauver l'accent aigu sur le mot amitié.

En tout cas, une chose est sûre, la région de la France la plus proche du Québec, et des cailloux et du coeur, c'est la Normandie. Partout on a compris mon accent et ma patate chaude. Partout notre provenance faisait sourire de complicité. Non seulement les Normands nous ont donné notre patrie il y a presque 500 ans, mais ils sont reconnaissants pour tous ces Canadiens qui, il y a presque 70 ans, leur ont redonné la leur. Il y a des liens comme ça, solides comme des noeuds de marin.

L'endroit qu'on aimerait ramener chez nous, ma blonde et moi, c'est Étretat.

De magnifiques falaises se tenant bien droites devant la mer agitée. Un rocher percé serti d'une aiguille. C'est l'aiguille creuse d'Arsène Lupin. Le repaire du plus grand des voleurs. Soudain, ce sont tous mes étés à NDG à lire les aventures du héros de Maurice Leblanc qui ont pris vie devant moi. Voyager, c'est toujours revenir vers l'enfance.

J'ai passé l'après-midi à regarder un rocher comme on regarde un rêve réalisé.

Et la chaleur qui me réchauffait l'âme valait tous les soleils du Sud.

Faut toujours suivre sa blonde en vacances. L'amour est le meilleur guide.

Bonnes vacances, tout le monde!

Et à la semaine prochaine, parce que vous écrire, c'est aussi des vacances.