Ma blonde me roule dans les couloirs du Parlement du Québec. Aux murs, il y a de gigantesques portraits des présidents de l'Assemblée. Les planchers sont cirés, les plafonds sont hauts, les escaliers immenses, nous sommes dans le château du pouvoir. Nous sommes dans l'Histoire.

On a beau rire des politiciens, se moquer des débats et des discours, c'est quand on arpente leur lieu de travail qu'on saisit toute la grandeur de leur tâche: représenter le peuple. Ce n'est pas rien. Il y a dans cet endroit quelque chose qui commande le respect.

Nous entrons dans le Salon rouge où sont rassemblés 200 citoyens. Beaucoup de personnes en fauteuil roulant, comme moi, des aveugles, des sourds, des déficients. On se croirait à la Cour des Miracles. Il y a aussi quelques chanceux épargnés par le destin.

C'est la remise des prix À part entière de l'Office des personnes handicapées du Québec, récompensant les gens et les organismes qui favorisent la participation sociale des personnes handicapées.

Il y a 17 lauréats régionaux venant de partout au Québec: le Centre de réadaptation en déficience intellectuelle du Bas-Saint-Laurent, la Chaîne de travail adapté du Saguenay, le groupe Entr'actes de la région de Québec, M. Dubois de la Mauricie, M. Gagnon de l'Estrie, la troupe Les Muses de Montréal, Mme Grenier de l'Outaouais, Les Intrépides de Rouyn-Noranda, l'Association des handicapés de la Côte-Nord, Mme Macameau du Nord-du-Québec, le Centre la Joie de vivre de la Gaspésie, le Centre d'équithérapie La Remontée de Chaudière-Appalaches, Mme Melnitzky de Laval, le Centre de réadaptation Le Bouclier de Lanaudière et M. Bélanger des Laurentides. Il y a aussi une mention d'honneur décernée à Mme Tousignant qui a créé le Service d'adaptation scolaire au Cégep de l'Outaouais.

La fierté dans les yeux, ils reçoivent leurs prix des mains des députés: Drainville, Maltais, Cousineau, Hivon, Doyer, Gendron, Pelletier du PQ, Carrière, Chevarie, Mamelonet, Morin, Charbonneau du PLQ, Deltell de la CAQ et Khadir de Québec solidaire. Sans oublier la ministre déléguée aux services sociaux, Dominique Vien. Nos élus ont tous un bon mot pour les lauréats, un sourire, une chaleur. Ça les honore. Car ils ne font pas ça pour les caméras, parce qu'il n'y en a presque pas. À part aux nouvelles TVA (merci beaucoup), cet événement ne sera guère couvert par les médias.

Les gens qui découpent leurs semblables en morceaux recevront toujours plus d'attention que ceux qui recollent les pièces de leurs prochains. C'est pas la faute des médias, c'est la faute des humains.

On est tous handicapés du bonheur. On a tous une blessure en nous et on gèle notre douleur avec le malheur des autres.

Juste au cas où les belles histoires vous intéressent encore, laissez-moi vous raconter celle du grand lauréat national du prix À part entière 2012. Il s'agit de Kéroul fondé par André Leclerc. En 1976, cloué à un fauteuil roulant, Leclerc décide d'aller rejoindre sa flamme à Chicoutimi, sur le pouce. Un pouce un peu croche, mais un pouce pareil. Bonne chance!

À Montréal, un commis-voyageur, dont le petit-fils était handicapé, le fait tout de suite monter et le mène 300 kilomètres plus loin. Puis après, plus personne ne s'arrête. On a beau être à l'époque dorée des hippies, un fauteuil roulant, ça éloigne. Finalement, des policiers l'embarquent croyant qu'il s'était sauvé d'une institution. Après avoir vérifié son identité, les bons cops lui payent l'autobus Québec-Chicoutimi.

Au retour, Leclerc sèchera encore sur le bord de la route. Assez longtemps pour qu'une grande idée lui vienne: créer un organisme aidant les handicapés à parcourir le Québec. Car si les voyages forment la jeunesse, ça forme aussi tous ceux qui ne sont pas complètement formés.

Depuis 33 ans, Kéroul s'affaire à rendre accessibles tous les endroits touristiques du Québec. Leurs efforts ingénieux leur ont permis de remporter aussi le prix Ulysses décerné par l'Office mondial du tourisme.

Fauteuil roulant contre fauteuil roulant, je tends à André Leclerc le trophée À part entière. Son sourire est si grand qu'il doit bien faire le tour de la Terre.

En un seul petit coup de roues, j'ai l'impression de n'être jamais allé aussi loin. En plein coeur du monde de ceux qui vont au bout d'eux-mêmes.

Bravo à tous les lauréats!

Et merci à Mme Giroux, directrice de l'OPHQ, de m'avoir permis d'être là.

Un après-midi au Salon rouge, avec des citoyens valeureux et des députés reconnaissants, ça vous réconcilie avec la patrie. Faut jamais oublier que le rouge, c'est la couleur de l'amour. Et de l'amour, il y en a beaucoup au Québec. Suffit de vouloir le voir. Suffit de vouloir s'en inspirer.