J'adore le hockey. Grave.

Depuis le début des séries éliminatoires de la Coupe Stanley, j'ai regardé plusieurs matchs. De très bons matchs: les affrontements montagnes russes entre les Flyers de Philadelphie et les Penguins de Pittsburgh, les duels de la mort soudaine entre les Coyotes de Phoenix et les Blackhawks de Chicago, l'élimination du républicain Tim Thomas par la ville de Barack Obama.

De grands moments, d'heureux dénouements.

Le hockey est un sport merveilleux. Tellement exigeant. Qui allie la grâce du patinage artistique et la brutalité du rugby. Les joueurs se défoncent, au propre comme au figuré. Surtout en séries.

Ils sont à bout de souffle. Tout le temps. Rien à voir avec la réalité du joueur de baseball. Ce qui essouffle le plus le joueur de champ gauche, c'est la marche rapide qu'il doit se taper, entre les manches, pour revenir à son abri. Les joueurs de hockey se sacrifient à chaque instant. Dans le froid de la glace et le feu de leurs yeux. Et comme pour tout sacrifice, c'est le coeur qui en paie le prix. C'est le coeur qui pompe et qui écope.

L'équipe qui regroupe le plus de joueurs au coeur meurtri gagnera la Coupe Stanley. C'est certain. Ce trophée récompense les sacrifiés.

J'aimerais bien être au diapason du spectacle riche en émotions que je regarde, mais je ne le suis pas.

Je l'apprécie, mais ma vie n'en dépend pas.

Si c'est 2 à 2 entre les Panthers de la Floride et les Devils du New Jersey en prolongation et que ma blonde veut voir ce qu'il y a aux Kiwis, je zappe aux Kiwis sans rouspéter.

Pourtant, si c'est le Canadien qui jouait, un tremblement de terre ne me ferait pas changer de poste.

Si mon équipe faisait partie de la ronde des séries, quelques heures avant la première mise en jeu, j'aurais des papillons. Je m'installerais devant la télévision, traqué, pressurisé, la face aussi rouge que mon chandail. À chaque arrêt de Price, mon coeur s'arrêterait aussi. À chaque but des miens, je crierais ma joie comme si je venais de gagner le gros lot. Si le match se prolongeait en supplémentaire, je deviendrais muet. Livide. Fragile. Presque malade. La victoire ferait mon bonheur. Pour vrai. La défaite me ferait mal. Pour vrai.

C'est comme ça que j'aime regarder le hockey. Quand je suis impliqué. Quand je suis engagé. Quand je suis la rondelle. Quand c'est avec moi que l'on joue. Avec ma passion. Avec mon amour. Avec mon ambition. Quand je n'ai pas le recul pour apprécier les beaux jeux. Quand je suis trop dedans. Quand je ne vois que ce que je veux voir: mon équipe être les bons, l'adversaire être les pas bons et les arbitres, les vendus.

Mais ce sera pour une autre année.

Comme pour l'ensemble des habitants du Canada, au deuxième tour, les séries de la Coupe Stanley 2012 sont un party où nous sommes tous des chauffeurs désignés. Ce sont les gens de New York, Los Angeles, Saint Louis, Nashville, Phoenix qui s'éclatent.

De Vancouver à Montréal, c'est la sécheresse des vaincus.

Aucune équipe canadienne parmi les huit meilleures.

Quelle injustice pour les amateurs! Les citoyens qui tripent le plus hockey, ceux qui en mangent et qui en rêvent, sont tous condamnés, dès les quarts de finale, à regarder leurs voisins du Sud profiter des plus beaux moments de notre sport national. Nos arénas sont vides. Nos Cages aux sports aussi. On est quelques centaines de milliers à regarder les matchs à la maison, même si les nôtres ne sont plus là, parce qu'on aime trop ça. On regarde le film d'amour, à défaut d'être celui qui embrasse Angelina Jolie.

Il n'y a pas juste le Canadien qui a besoin de se reconnecter avec les amateurs. Durant des décennies, il y avait six équipes de hockey: deux au Canada, quatre aux États. Pourtant, la Coupe Stanley finissait presque toujours dans les bras d'un joueur de Montréal ou de Toronto. Ils la voulaient le plus parce que leurs gens la voulaient le plus. Aujourd'hui, on protège tellement les mercenaires contre la pression des partisans qu'on a tué le pouvoir du septième joueur. Le septième joueur de Nashville a le même effet que celui de Montréal et d'Edmonton, même quand il ne se déplace pas.

Quand les petits gars vont-ils comprendre que ça nous mène plus loin d'avoir des gens qui s'intéressent à nous que de s'intéresser seulement à l'argent?

Le pouvoir de l'amour, on l'a débranché. Faudrait retrouver la prise et, du coup, l'emprise.

Vous me trouvez bien léger avec mes histoires de hockey?

Sachez que si le Canadien était en séries, le conflit étudiant aurait sûrement pris une autre tournure. Laquelle? Nul ne peut le dire, mais une chose est sûre, les rues de Montréal auraient été désertes entre 19h et 22h. Et l'ennemi public numéro un n'aurait été ni Charest ni Nadeau-Dubois, mais Chara.

Il n'y a rien comme un ennemi de Boston pour unir les gens d'ici.

Cette année, la passion du printemps se vit autrement.

Mais elle est toujours rouge. Le carré a remplacé le drapeau du CH.

Le bon côté d'un match de hockey, c'est qu'il y a toujours un gagnant.

Dans les affrontements sociaux, c'est moins évident.