Partout dans le monde, c'est le sport le plus aimé. Partout dans le monde, ses vedettes sont adulées. Pour l'immense majorité des êtres humains, notre planète n'est pas une boule, notre planète est un ballon rond. Le Mondial de football est un événement encore plus suivi que les Jeux olympiques. De Paris à Moscou, de Rio à Tokyo, de Dakar à Stockholm, la planète est folle de foot. Partout sauf ici et aux États-Unis.

On essaie de temps en temps de se mettre au diapason des autres terriens; une nouvelle équipe, une nouvelle ligue, ça dure quelques mois, puis on se remet à parler des blessures de Markov, même sous le chaud soleil de juillet.

La greffe de la passion du football ne prend jamais bien longtemps.

Je me souviens encore du cours de gymnastique de la classe de 3e année C de l'école Notre-Dame-de-Grâce. C'était en 1968. Monsieur Poirier avait un drôle de ballon sous le bras. Ça ressemblait à un ballon de ballon-chasseur, mais en plus dur. C'était un ballon de soccer. Le prof nous a expliqué les règles. On a comme compris. Le soccer, c'est comme du hockey, pas de patin, pas de bâton, avec un ballon au lieu d'une rondelle, du gazon au lieu de la glace, et des filets tellement grands que même Gomez pourrait compter un but.

On a passé notre primaire à jouer au soccer comme on joue au hockey, à pousser le ballon en avant et à courir après. Oubliez la disposition tactique, le passing et les formations 4-5-1, 4-4-2, 3-5-2. On voulait tous botter la balloune.

Au secondaire, le professeur d'éducation physique venait des pays de l'Est, et il nous a dit que ça ne s'appelait pas le soccer, ça s'appelait le football. Ça nous a mêlés. Pour nous, le football, c'était le ballon ovale. Le sport de Joe Namath et de Sonny Wade. Il y avait donc le football canadien joué avec un ballon ovale avec des lignes blanches, le football américain joué avec un ballon ovale sans ligne blanche et le football tout court joué avec un ballon rond.

Je suis convaincu que l'indifférence nord-américaine quant au sport favori du reste du monde vient de cette confusion d'appellations.

Ce n'est pas un hasard si le football mondial n'a jamais réussi à devenir une religion dans les seuls pays du monde où le mot football désigne un autre sport. Vous voulez établir une nouvelle boisson gazeuse aux États et vous l'appelez Coke. Bonne chance! Quand le mâle américain regarde un match de football, il veut voir des casques, pas des culottes courtes.

A-t-on idée d'appeler un sport soccer? On veut attirer les suckers? Les noms de sports d'équipe qui fonctionnent aux États-Unis finissent par ball. Football, baseball, basketball... Si on appelait ça sexylegball, déjà le public féminin se sentirait plus interpellé.

Nommer quelque chose, c'est se l'approprier. Nous n'avons jamais vraiment nommé ce sport. Quand on l'appelle football, pour nous, c'est l'autre football. Quand on l'appelle soccer, on ne fait pas partie des initiés.

Pourtant, c'est un sport merveilleux. Simple comme un jeu d'enfant, complexe comme une stratégie militaire. Contrôler le territoire. Napoléon et Zidane, même combat.

On aurait pu croire qu'avec tous ces gamins qui jouent au soccer depuis la fin des années 60, avec toutes ces soccer moms qui encouragent leur progéniture, ce sport deviendrait le plus populaire au Québec. On en est loin. Le petit Québécois aime jouer au soccer et regarder le hockey.

Le foot, ici, est un passe-temps. Pas une religion. Pour qu'il passe au niveau supérieur, il doit devenir un spectacle. Et pour devenir un spectacle, il doit être incarné. Les gens ne vont pas voir jouer des musiciens, ils vont voir Madonna, les Stones, Adele. Ils vont voir des idoles. Nommez-moi une personnalité qui a marqué le soccer d'ici? Vous allez chercher longtemps. Gordon Hill du Manic? Si certaines personnes ne connaissent pas Gary Carter, imaginez la popularité de Gordon Hill. Il n'est pas à la veille d'avoir une station de métro.

Le nom le plus connu du foot québécois, c'est Saputo. C'est le propriétaire. On ne va pas au Centre Bell, pour voir Geoff Molson. L'été dernier quand je lisais sur la galerie, j'allumais la radio à CKAC Sports. À défaut d'écouter du bon vieux baseball, j'écoutais un match de l'Impact. Je n'arrivais pas à suivre. Je ne connaissais pas les joueurs. Camara passe à Westlake qui tente de rejoindre Montaño, intercepté par Miller. Ça ne vous dit pas grand-chose quand vous ne savez pas pour qui jouent Camara, Westlake, Montaño et Miller.

Aujourd'hui, ils seront autour de 60 000 spectateurs au premier match de l'Impact en MLS au Stade olympique. Tant mieux! Tout nouveau, tout beau! Le défi sera plus grand quand ce sera moins nouveau. Et ça ne prendra pas de temps. Un mauvais début de saison et on se reparlera de la ferveur dans deux mois.

Voilà pourquoi, M. Saputo, on a besoin de héros. D'une figure charismatique pour donner une âme au jeu. Ils sont des milliers de petits Québécois à jouer au soccer durant l'été. L'Impact aura réussi à s'implanter quand dans le dos de ces enfants, il y aura le nom de l'un de vos joueurs. Quand les mômes se prendront pour lui.

Pour aimer un sport, il faut aimer ceux qui le pratiquent. Ce sont les Vézina, Morenz, Richard, Béliveau, Lafleur, Roy qui nous ont fait tomber et retomber amoureux du hockey. Qui nous fera tomber amoureux du football/soccer? À vous de le trouver!

Bon match!