Je vous parle d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître. Montréal, en ce temps-là, accrochait ses héros jusque sous nos fenêtres. Il y avait le héros de l'hiver et le héros de l'été. Comme les fenêtres doubles et les moustiquaires.

Le héros de l'hiver, c'était Guy Lafleur.

Le héros de l'été, c'était Gary Carter.

Notre admiration pour eux était à l'image des saisons.

L'hiver était dur. Et nous étions durs avec Lafleur et son équipe. Il fallait qu'il soit le meilleur, tout le temps. Qu'il fasse gagner le Canadien, soir après soir. Jusqu'à la Coupe Stanley. Rien de moins. Et puisqu'il était un héros, il y arrivait. Alors on l'admirait encore plus.

L'été était doux. Et nous étions doux avec Carter et son équipe. Pas besoin de gagner tous les matchs. De toute façon, il y en avait beaucoup trop. Mais il fallait qu'il fasse de son mieux tout le temps. Et Carter faisait de son mieux, manche après manche après manche. Sans relâche, jamais. Alors, on l'admirait encore plus.

Gary Carter était notre amour d'été. On s'amusait avec lui. On chantait Valdéri. On criait Youppi. On se changeait les idées. C'était notre chum. Puis l'hiver, on reprenait avec Guy. C'était sérieux. C'était religieux. C'était notre mari.

Carter, tout comme Lafleur, nous aimait pour vrai. Ça paraissait. Dès qu'on l'applaudissait, dès qu'on criait son nom, le numéro 8 souriait comme un kid. Il serrait des mains, signait des autographes, prenait la pose pour les photos, avec enthousiasme. Ça le rendait heureux de nous rendre heureux. Carter était l'ami des fans.

Les fans à Montréal n'ont plus d'amis depuis déjà longtemps.

Ils ont des vedettes, mais pas d'amis.

Carey Price est une vedette. P.K. Subban est une vedette. Tous les joueurs du Canadien sont des vedettes. Mais sont-ils nos amis? Pas sûr. Ils sont trop occupés. Ils sont trop pressés.

Pour les rapprocher des fans, on leur impose parfois certaines tâches. La première étoile du match doit lancer des rondelles aux spectateurs. Les joueurs le font machinalement. Comme une corvée.

Carter lançait des balles dans les gradins sans qu'aucun directeur du marketing ne le force à le faire. Et il le faisait en rayonnant. En faisant un clin d'oeil à un enfant.

Chez Carter, on sentait que les gens passaient avant l'argent.

C'était La Poune des receveurs: il aimait son public et son public l'aimait.

Il n'y avait personne entre lui et nous. Pas de relationniste, pas de garde du corps, pas de secrétaire pour nous tenir à distance.

Carter était un des nôtres. En anglais, le marbre se nomme home. Home, ça ne veut pas juste dire maison, ça veut dire maison familiale. Quand Carter s'installait derrière le home, sa famille, c'était nous. Et il ne laissait personne voler le marbre, voler la maison familiale.

Encore plus que ses statistiques, que ses gants d'or, que ses participations au match des Étoiles, ce que je retiens de Gary Carter, c'est l'homme. C'est la personne.

Qui connaît, aujourd'hui, les joueurs du Canadien?

Carter, on le connaissait.

Je me souviens autant de ses coups de circuit et de ses relais au deuxième que de son annonce des draps Texmade! On voyait Gary Carter couché dans un lit au beau milieu du terrain du Stade olympique. La belle voix d'Albert Millaire disait: «La vie des joueurs de baseball n'est pas de tout repos. On fait le circuit des grandes villes, Saint Louis, Pittsburgh, Philadelphie. On y joue de longues et dures séries. C'est pourquoi Gary Carter aime être de retour chez lui. Pour retrouver enfin le confort et la douceur des draps Texmade. Et, après une bonne nuit, s'éveiller au milieu des siens.»

C'était cucul, mais ça fonctionnait. On y croyait. Les siens, c'était nous. Carter était chez lui, chez nous. Ce n'était pas un mercenaire. Carter s'était intégré à notre réalité. Il portait nos couleurs. Il jouait pour nous. Pour nous faire vibrer. Pour nous sauver de notre quotidien.

C'est ça, un héros.

Le 26 novembre 1984, le Canadien a forcé Guy Lafleur à prendre sa retraite. Le 10 décembre 1984, les Expos ont échangé Gary Carter. L'ère des héros venait de prendre fin à Montréal. Commençait alors l'ère des nids-de-poule. L'ère des vedettes trouées. On y est encore.

Je suis certain que le Kid s'amuse maintenant dans le Field of Dreams du paradis. Dans le grand champ de rêve. Et qu'il porte l'uniforme d'une équipe rendue au ciel: nos Expos, nos Z'Amours.

Merci, Gary, d'avoir été l'été.