L'autre matin, ma blonde reçoit un appel de détresse de sa soeur: le centre de la petite enfance d'Eliot et de Charlie est fermé. Il faut à tout prix que j'aille au bureau. Pourrais-tu venir les garder? Ma Marie-Pier annule ses engagements et met le cap sur Blainville rejoindre ses amours de neveux.

Les gars, aujourd'hui, congé de garderie, on va passer une petite journée tranquille à la maison avec Tatie. Eliot a 3 ans et 10 mois. Charlie a 1 an et 9 mois. Ils ne savent pas c'est quoi une petite journée tranquille. Pour eux, chaque journée est excitée. Chaque journée est la fin du monde. Chaque journée est toute leur vie.

Prendre ça relaxe, c'est bon pour les vieux. Les petits enfants n'ont pas ce piton-là. Tout est toujours urgent. Tout est toujours important. Vivre le moment présent intensément, les petits enfants n'ont pas besoin de livre de psycho pop pour l'apprendre. C'est inné chez eux. Quand ça fait à peine quelques mois qu'on est sur la Terre, on n'est pas blasé encore. On réagit à tout. Et ça s'entend!

On va dessiner! Marie-Pier installe ses neveux à la table. Du papier, des crayons et le chantier commence. Eliot dessine une patinoire. Charlie dessine la table. Pas une table, la table. Elle est marquée de toutes les couleurs. Eliot a besoin du crayon rouge. C'est Charlie qui l'a dans ses mains. Eliot le lui arrache. Charlie pleure. Marie-Pier dit à Eliot de remettre le crayon à son frère. Eliot ne veut pas. Charlie pleure plus fort.

On va lire une histoire! Marie-Pier s'assoit sur le divan avec les deux bouts de chou. Un à sa gauche, un à sa droite. Elle leur lit Histoire de jouets. Elle change de voix selon qu'elle est Woody, Buzz ou Monsieur Patate. Les gars écoutent. Elle tourne la dernière page, Eliot dit: encore! Elle relit l'histoire. Eliot dit: encore encore. Elle relit l'histoire une troisième fois. Puis, Marie-Pier propose de prendre un autre livre. Eliot dit non. Elle relit l'histoire une quatrième fois. Elle ne change plus sa voix. Elle est à bout. Charlie aussi. Il met sa main sur la bouche de Marie-Pier. Eliot tasse Charlie. Et lui pince le gras de la jambe. Charlie ne réagit pas. Eliot se met à pleurer.

On va jouer au hockey! Le trio infernal s'improvise une surface de jeu sur le plancher de la cuisine. Avec des minibâtons (ou est-ce plutôt les bâtons de Gionta?), ils tentent de loger la balle entre deux plats Tupperware. Marie-Pier est le gardien. Eliot et Charlie ont beau être dans la même équipe, ils se tiraillent allègrement. Eliot a du PK dans le nez. Charlie parvient à lui enlever la balle et à la loger derrière Marie-Pier. Un à zéro! Ça sent la Coupe. Non, ça sent plus tôt la couche! Temps d'arrêt demandé. Marie-Pier va changer le démon blond. Pendant ce temps, Eliot lance son hockey sur le comptoir, le verre de jus d'orange se casse.

On va aller dehors! Marie-Pier habille les deux gars. Il a beau faire 2 degrés à l'extérieur, Eliot et Charlie ont tellement d'épaisseurs qu'ils n'ont plus aucune apparence humaine. On dirait un mobilier qui a appris à marcher. Ce n'est plus Eliot et Charlie, c'est Brault et Martineau. Le grand air fait du bien. Marie tire les deux traîneaux. Eliot lui demande d'aller plus vite! Marie va plus vite. Arrivée au terrain de jeux, elle s'écrase dans la neige et reprend son souffle.

Pipi.

Qu'est ce que tu dis, Eliot?

Envie de pipi.

Je te l'ai demandé avant de partir. Tu m'as dit que t'avais pas envie.

Pipi!!!

Marie remet les deux gars sur les traîneaux et court vers la maison. Trop tard.

On va faire dodo! Eliot veut pas. Charlie dort déjà. Marie-Pier tente de convaincre Eliot qu'il doit se reposer lui aussi. Elle lui donne son petit frère en exemple. Regarde comme il est gentil, il fait un petit somme. Comme un ange. Eliot tire les cheveux de Charlie. Charlie ne dort plus. Il crie.

On va faire de l'origami! Marie-Pier plie des feuilles et demande aux gars de l'aider. Charlie n'a pas dormi, alors il est maussade. Il se lamente. Eliot veut manger des chips. Marie-Pier lui dit qu'il est beaucoup trop tôt pour manger des chips. Au fait, il est quelle heure? 9h30! Ça fait seulement une heure que la maman est partie. Encore sept heures d'activités ludiques à inventer. Marie-Pier est sur le bord de pleurer.

Ma blonde est revenue à la maison, complètement épuisée. Une journée complète en compagnie de deux gamins ne vous donne aucun répit. Jamais vous ne pouvez vous mettre en mode veille. Votre corps et votre esprit sont constamment sollicités. Les petits enfants mangent de l'énergie plus vite qu'ils mangent des bonbons. Ils vous dévorent complètement. Pour votre plus grand bonheur. Et votre plus grosse fatigue.

Je ne connais pas tous les tenants et les aboutissants qui opposent les travailleuses (et aussi quelques travailleurs) des centres de la petite enfance au gouvernement. Mais une chose est sûre, on ne les appelle pas travailleuses pour rien. Ces gens-là travaillent et se dépensent comme peu de personnes dans notre société. Garder une marmaille d'enfants, ce n'est pas un simple passe-temps, une petite occupation. C'est un job. Une maudite grosse job de fous.

Si ce conflit nous permet seulement de reconnaître le rôle primordial de ces travailleuses à la bonne marche de notre société, il ne sera pas vain.

Le plus important dans la vie, ce sont les enfants. Celles qui s'en occupent pendant que les autres font autre chose deviennent donc les deuxièmes plus importantes. Traitons-les ainsi.