Durant des années, l'humain savait vers quoi il s'en allait. Il s'en allait vers le futur. Chaque année qui s'amenait nous rapprochait de notre destin. On n'en revenait pas tellement ça passait vite, tellement chaque année comptait. On était si pressés d'y arriver qu'on ne disait même plus le nom du siècle. On ne disait pas 1967, on disait juste 67, juste 76, juste 80, tellement on se détachait de notre siècle pour se projeter vers le suivant.

Le futur, c'était l'an 2000. C'est là que le monde allait changer. Les autos allaient voler. On était tous pour se promener en pyjama comme dans Star Trek et profiter de la société des loisirs. Finie la petite misère. Tous les Terriens allaient devenir Hugh Hefner.

2001, l'Odyssée de l'espace. Les enfants de l'an 2000. Les amoureux de l'an 2000. Tous nos fantasmes allaient se réaliser.

Dans les années 90, chaque nouvelle année était un compte à rebours. 92... Aïe! dans huit ans, c'est l'an 2000! 96... Aïe! dans quatre ans, c'est l'an 2000... Nos coeurs battaient de plus en plus fort. Chaque coup de minuit était un coup de théâtre.

Et puis, finalement, l'an 2000 est arrivé. Méchant gros party! On espérait autant le bonheur total que l'on craignait la méga catastrophe. Le bogue de l'an 2000. Nos réveil-matin allaient exploser. Il n'y a pas eu de bonheur total ni de méga catastrophe. L'an 2000 fut une année pas mal semblable à l'année 1999.

Les autos ne se sont pas mises à voler, même qu'elles se sont mises à avancer de moins en moins, surtout sur le pont Champlain. Mis à part Scott Gomez, tout le monde a continué à travailler pour gagner sa vie. La société des loisirs est une utopie. On ne se promène pas en pyjama, surtout pas à moins 20.

Maintenant que les années 2000 ne sont plus le futur, mais notre présent, nous ne possédons plus de représentation du futur. 2015... 2020... 2050... 2100... Ça ne nous dit rien. L'an 3000, c'est beaucoup trop éloigné pour commencer à s'énerver.

L'avenir est rendu trop loin.

Autant la mer du futur était à nos pieds au XXIe siècle, tellement nos ambitions pour l'an 2000 étaient grandes, autant la mer du futur s'est retirée de la grève au XXIIe siècle et on n'est pas près de s'y saucer le gros orteil. Les marées du temps sont très espacées.

Demain, personne ne dira: nous sommes en 12. On va être en 2012. Puisqu'il n'y a plus de futur immédiat, il faut se rattacher au passé. Il faut s'ancrer dans l'acquis. Sur ce qui est atteignable.

À minuit, ce soir, nous allons tous être excités quand même, mais entre vous et moi, 2011, 2012, 2013, qu'est-ce que ça change? Nous sommes des voyageurs sans destination.

Ça nous prendrait des résolutions collectives. Ça prendrait des buts, pas juste pour le Canadien de Montréal, pour tous les humains.

La promesse de Kennedy a frappé mon imaginaire d'enfant. Au début des années 60, JFK avait mis au défi les États-Unis de marcher sur la Lune avant la fin de la décennie. Le 20 juillet 1969, Neil Armstrong plantait le drapeau américain sur l'astre de la nuit. Pari tenu.

Il nous faudrait d'autres objectifs Lune pour donner un sens au temps qui passe.

Un échéancier pour vaincre l'analphabétisme.

Un échéancier pour vaincre la famine.

Un échéancier pour vaincre le cancer.

Un échéancier pour vaincre la haine.

Pendant des années, on a cru que tout allait tomber du ciel. Qu'il suffisait d'arriver à l'an 2000 pour que la vie change, pour que le monde soit meilleur. Force est de constater que ce n'est pas le cas. Que ça prend plus que ça. Que ça prend nos efforts concertés. Que ça prend une volonté commune. Après s'être indigné, il faut daigner faire quelque chose. Proposer un plan. Trouver un chemin.

Pour avoir un petit frisson à minuit, il faut sentir que 2012 sera le début de quelque chose. De quelque chose de nouveau en nous. Il faut se donner une mission.

Maintenant qu'on a tous arrêté de fumer, il doit bien y avoir d'autres résolutions.

Et si, en 2012, c'était ça, notre résolution: s'en trouver une? Une belle, une vraie, une grande. On l'accomplira en 2013, en 2014 ou en 2025, mais au moins on l'aura trouvée. Cette résolution collective sur laquelle nous pourrons bâtir.

Il n'y a que le 31 décembre, à 23heures 59 minutes et 59 secondes, que nous réalisons que l'avenir est dans une seconde. Pourtant, l'avenir est toujours dans une seconde. À nous d'en faire quelque chose.

Bonne seconde, tout le monde!