À la fin des années 70, j'avais un ami canadian. Il s'appelait Roland. Il avait 18 ans, comme moi. Il habitait à Winnipeg. C'était le cousin de ma blonde de l'époque. Son nom de famille avait beau être Lavallée, il parlait à peine français. Il était sportif, réservé, intègre et sincère. Avec une petite bière dans le corps, il chantait fort du Guess Who et du Anne Murray. Il aimait sa famille, les Prairies, le hockey et la paix. C'était un vrai Canadien.

Chaque été, sac au dos, il venait au Québec, voir sa french family. Et chaque fois, il expérimentait une rencontre du troisième type. Il y avait des drapeaux fleurdelisés partout, des affiches en français qu'il lisait difficilement, des chansons d'Harmonium et de Paul Piché dans les bars. Il se sentait ailleurs mais, en même temps, il était fier de dire que cet ailleurs était aussi chez lui. Son pays. Comme le conscrit de Hair qui veut faire partie de la gang des hippies de Central Park, Rollie, quand il venait à Montréal, voulait faire partie de la gang des granos barbus de la montagne.

On avait beau être séparatistes, vouloir se débarrasser du pouvoir anglophone et quitter le Canada, pour mon ami manitobain, il n'y avait pas plus canadien que nous. Après tout, même notre équipe de hockey, emblème de notre réussite et de nos succès, s'appelait le Canadien. Alors c'était son team à lui aussi.

Pour Rollie, l'identité canadienne reposait sur la culture francophone. Il savait bien que chaque mot qui sortait de notre bouche était une victoire sur notre destin de conquis. Et il en était fier. Même s'il devait le dire en anglais. C'était ça, le paradoxe canadien.

Il nous enviait, les Canadiens du Québec, de n'avoir qu'à parler pour se reconnaître. Le reste du Canada n'avait pas de symbole fort et rassembleur. Dans l'aréna des Jets de Winnipeg, qui jouaient toujours dans l'AMH, il y avait bien un immense portrait de la reine, mais pour la génération de Roland, c'était plus une antiquité qu'une figure d'unité.

Roland tripait de nous voir agiter nos drapeaux bleus à la Saint-Jean. On avait tellement l'air de grands révolutionnaires! Il aurait bien aimé agiter le drapeau du Manitoba dans son champ de blé, mais il aurait eu l'air d'un épouvantail.

La particularité du Canada, c'était qu'il y avait aussi des gens qui parlaient français. C'était sa fierté, au cousin. C'est pour ça qu'il devenait tout rouge quand je lui parlais du référendum qui approchait et du OUI qui allait peut-être l'emporter. Cette éventualité était invivable. Il nous aimait émancipés, mais pas à ce point. La séparation du Québec, c'était la disparition du Canada. Rien de moins. Roland ne trouvait pas ça drôle.

À l'été 1980, quand il est venu nous voir après la défaite des souverainistes, sa joie d'être toujours chez lui était belle et émouvante. Ça m'a presque consolé.

Puis le temps a passé...

Trente ans plus tard, tout a changé. Le Parti québécois est de plus en plus parti et de moins en moins québécois. Le Bloc québécois s'est effondré comme un paralume du tunnel Ville-Marie. Le nationalisme, ce n'est plus «On est 6 millions, faut se parler». Le nationalisme, c'est: «On est 8 millions, faut pas en parler.»

Les jeunes ne veulent plus sauver leur langue, ils veulent sauver leur peau. Comme tout le monde.

Nous ne sommes plus assez uniques pour représenter la différence canadienne. Le bilinguisme n'est plus la particularité du plus meilleur pays du monde. Le bilinguisme, il n'y a que Michel Lacroix, au Centre Bell ou à The Price is Right, qui le pratique. Ce n'est plus un projet, même pas une utopie, c'est juste fini. Le Canada est un pays anglais avec des communautés ethniques qui parlent entre elles la langue qu'elles veulent bien parler.

Pour se forger une identité, le Rest of Canada s'est tourné vers lui-même. Les nationalistes, désormais, ce sont eux.

Les gens de l'Ouest ne nous envient plus. Ils ont leur revanche. Ce sont eux maintenant qui chantent My Country.

Harper a ressorti les symboles qui différencient le Canada des États-Unis. Maintenant que ce n'est plus la french touch, c'est la reine, c'est l'unifolié. On va en mettre partout. Un drapeau, ça marque le territoire. Les animaux n'en ont pas, alors ils font autre chose. Mais un drapeau, c'est bien plus beau. Et ça sent le vent. Ça sent le large.

Le nationalisme canadien ne me donne pas des boutons rouges. Au contraire. Je comprends Harper de vouloir créer un sentiment d'appartenance. C'est tellement agréable d'être fier du pays d'où l'on vient. Le nationalisme, quand il est rassembleur, ouvert, souriant, peut créer de grandes choses. Mais quand il est conquérant, fermé et obtus, il peut aussi tout détruire. Au fond, l'amour de son pays, ça reste de l'amour. Avec ce qu'il a de meilleur et de pire. Faut juste que ça ne devienne pas de l'amour fou qui se transforme en haine. J'ai espoir que le Canada est à l'abri de ça.

Les conservateurs doivent comprendre que l'amour, ça ne se force pas. Ça vient des gens. Ça ne s'impose pas avec des lois. Et ce n'est pas en ressortant le portrait de la souveraine de l'ex-colonie que vous éveillez le goût de l'affirmation de soi. Me semble que le Canada a des visages plus attrayants.

Je ne sais pas si l'ami Roland continue de venir à Montréal, l'été. On s'est perdus de vue. Mais une chose est sûre: il doit vraiment se sentir chez lui. Presque trop. Montréal ressemble de plus en plus à Winnipeg.

Comme si le héros de Hair retournait à Central Park et ne croisait que des militaires. La fête est finie. Quelque chose me dit que Rollie doit venir moins souvent.

Après tout, il y a tout, chez lui, même un club de la LNH qui a une belle feuille d'érable rouge sur son chandail.