«Est-ce que tu restes chez vous, lundi?

- Oui, bien sûr.

- C'est certain?

- C'est béton!»

Quand quelqu'un dit «béton», on ne pose plus de questions, on ne doute plus. On est convaincu qu'il va tenir parole. C'est encore plus engageant que de jurer. Il y a beaucoup de gens qui ne croient pas en Dieu, tandis que tout le monde croit au béton.

Même le dictionnaire est d'accord. Béton: symbole de la solidité, de la résistance.

L'acteur de film XXX Richard Allan était surnommé Queue de béton. Il pouvait tourner durant des heures, son engin était toujours prêt. Dur comme un échangeur. Il ne décevait jamais sa partenaire.

Partout sur la planète, le béton, c'est la fiabilité en bloc.

Partout, sauf au Québec.

Au Québec, le béton fait peur.

Au Québec, le béton parle verlan. Le béton signifie tomber.

Imaginez, si la poutre et les paralumes de l'autoroute 720 ne s'étaient pas effondrés dimanche dernier vers 9h10, mais le samedi 2 juillet, alors que le prince William et sa princesse roulaient dans la métropole. Hé! que le ministre Sam Hamad aurait été dans l'Hamad!

Vous me direz que, si la structure de béton était tombée sur n'importe quel citoyen, cela aurait été un aussi grand drame, et on aurait pris tous les moyens pour que ça ne se reproduise plus. Permettez-moi d'en douter.

Le viaduc de la Concorde s'est affaissé le 30 septembre 2006, cinq personnes ont perdu la vie, et on continue à cacher les rapports et à gagner du temps. On pratique la pensée magique. Circulez, il n'y a rien à voir, c'est un accident, on ne pouvait pas le prévoir.

Heureusement pour le gouvernement, le peuple a une confiance en béton dans la vie. Pas en béton québécois, en béton américain. Inébranlable.

Nous sommes des milliers à rouler sur le pont Champlain même si on nous cache son état. Des milliers à emprunter le pont Mercier même si on ne cache pas son état. Des milliers à tourner autour de l'échangeur Turcot. Et dès que les voies du tunnel Ville-Marie ouvriront, nous serons des milliers à nous engouffrer dedans.

On a beau critiquer nos politiciens, au fin fond, on se dit qu'ils savent ce qu'ils font. Qu'ils ne mettraient pas nos vies en danger en nous laissant accélérer sur des chemins minés.

Si Pôpa m'a dit que je pouvais aller là, j'y vas!

Voilà pourquoi nos routes en fromage Oka sont remplies de voitures. Y a des trous partout, y a des morceaux qui tombent, mais c'est pas grave, on a une main sur le volant et l'autre en train de texter: «Y a une poutre dans l'oeil du voisin, mais rien dans le mien!»

Une confiance en béton dans la vie, je vous dis.

Et nos dirigeants en profitent. Pas de panique, on recolle les morceaux avec de la Crazy Glue, on met des cônes orange pendant que ça sèche, pis let's go tout le monde, ça roule. Par ici, les moutons!

Nous fonçons vers un autre drame. Pour l'éviter, ça prend un plan. Ça prend un bataillon. Pas des Casques bleus, des casques jaunes. Il faut reconstruire Montréal. Ça presse plus que de bâtir des routes pour aller chercher des diamants dans le Grand Nord. Le grand effort de société, c'est ici qu'il faut le faire. Pas seulement avec les amis entrepreneurs du parti, avec tout un chacun.

Mais comment convaincre le gouvernement d'agir mieux et plus vite?

Normalement, quand le peuple veut faire bouger les gens au pouvoir, il descend dans la rue. Mais vu l'état de nos rues, ce n'est pas à conseiller.

En mai 68, à Paris, les étudiants lançaient des pavés. En août 2011, à Montréal, ce sont les pavés qui lanceraient des étudiants.

Il ne faut pas organiser une manifestation.

Il faut organiser une anti-manifestation.

Il faut choisir une date et rester chez nous. Tout le monde. Automobilistes, cyclistes, piétons, tout le monde reste à la maison. Dans son salon.

Vos rues trouées, vos trottoirs brisés, vos routes dangereuses, vos tunnels bouchés, vos ponts branlants, on n'en veut plus. Réparez!

Bien sûr, ça ne se fait pas en une journée, mais si, ne serait-ce qu'une matinée, il n'y avait plus aucune circulation à Montréal, que la ville était vidée de ses passants, le message serait clair.

Cessez de nous berner.

On veut savoir l'état du système routier. On veut avoir un échéancier pour les travaux de réparation. Arrêtez de nous niaiser avec le nouveau pont. Il en faut un, ben faites-le! Tout de suite!

Ceci est un appel à la désobéissance civile passive.

Restons chez nous, un beau lundi matin. C'est notre seul moyen de pression.

Les gouvernements ne prennent au sérieux que ceux qui possèdent un pouvoir économique. Si nous restons chez nous, ils vont vite se rendre compte que le plus grand pouvoir économique, c'est nous qui le possédons.

On fait ça quand?

Choisissez la date, je la mets à mon agenda. Ce sera béton.