Le projet est simple, rénover la salle de bains au deuxième, en face de la chambre d'amis. La pièce est toute petite, environ 10 pieds sur 4 pieds. C'est gros comme une armoire à balais.

Personnellement, j'aurais tendance à attendre encore. Il n'y a pas de presse. Peu importe le chic d'une salle de bains, on y fait toujours ben la même affaire qu'on ferait dans un johnny-on the spot. Pour le gars que je suis, une salle de bains n'est qu'un lieu de passage. De transit. Que l'on traverse à toute vitesse. Quand j'y suis, je ne la vois même pas. J'y fais ce que j'ai à faire en ayant la tête complètement ailleurs. Ma tête est dans mon bureau, ma tête est sur un plateau, ma tête est en voyage, ce n'est que mon cul qui est bel et bien là. Même quand je me rase, c'est à peine si je remarque qu'il y a un miroir. La salle de bains est un non-lieu. Un endroit qui n'existe presque pas. Pourquoi rénover l'inexistant? Parce que ma blonde...

Pour ma blonde, les salles de bains sont les pièces les plus importantes de la maison. Ce sont des oasis. Des Bora-Bora domestiques. Si chacune de mes visites au W.C. dure en moyenne 12 secondes, ma blonde peut y être durant des heures et des heures. Le temps de tout un Super Bowl, au moins. Elle y fait tout. Elle lit, elle mange, elle jase au téléphone, elle surfe sur le net, elle relaxe, elle dort. Bref, elle pourrait y vivre à l'année.

Ça fait au moins cinq ans qu'elle fait son lobby pour l'érection d'une nouvelle salle de bains. Elle a fini par gagner. J'ai bien dû constater que la place était délabrée. Peu accueillante pour les invités. Et surtout si je voulais que mon mandat soit renouvelé, valait mieux ne pas contrarier la majorité. C'est un go.

Marie-Pier et le designer ont choisi les matériaux et la finition. Le budget est de plusieurs milliers de dollars. Des toilettes, si petites soient-elles, ça coûte la peau des fesses. Je n'ai pas l'aide de mon maire, ni de Jean Charest, encore moins de Stephen Harper, pour régler la facture. C'est un projet financé à 100% par le privé. Privé comme dans privé de son argent.

Les travaux ont débuté, début janvier. Quatre jours pour tout démolir. Ça n'a pas niaisé. S'il y a un groupe dans l'industrie de la construction qu'il faut féliciter pour son efficacité, ce sont les démolisseurs. Ils opèrent. Beding, bedang, arrachés la cuvette, le lavabo, la baignoire, les murs et le plancher. Ma salle de bains est Ground Zero.

Le hic, c'est que nous sommes un mois et demi plus tard, et ma salle de bains ressemble toujours à Ground Zero. Autant les démolisseurs sont rapides, autant les bâtisseurs sont lents. Bien sûr, leur travail est plus minutieux. Mais il y a quand même des limites.

Un mois et demi pour rénover une armoire à balais, et c'est pas fini. Je réclame une commission d'enquête sur la construction. Pas pour faire le ménage dans l'industrie, juste pour trouver des constructeurs. Ils sont où? Je me lève le matin, pas de travailleurs dans la salle de bains. Je reviens le soir, toujours pas de travailleurs. Ma blonde me dit qu'ils sont venus. Ils ont sablé le plancher. Puis ils sont partis. Ils reviennent deux jours plus tard poser les tuiles. Puis deux jours plus tard, voir si les tuiles sont bien posées. Puis deux jours plus tard, poser le ciment sur le plancher. Chaque fois que je me plains du peu d'activité dans l'armoire à balais, mon désigner me dit: faut que ça sèche. À voir les jours que ça prend, il ne doit pas parler du plancher ou des murs, il doit parler de moi. Je suis en train de sécher.

Je fais beaucoup de farces sur le CHUM. Je n'en ferai plus. Si le CHUM est bâti en 2022, ce sera un miracle. Bravo, les administrateurs pour tant d'efficacité. Moi, je n'arrive pas à avoir une salle de bains fonctionnelle en deux mois. Je ne m'aventurais même pas à prédire quand aura lieu le premier pipi officiel. Au printemps? À l'été? À Noël? Seul mon designer et les gars de la construction le savent. Je suis totalement à leur merci. Imaginez le maire Labeaume a promis un nouveau Colisée en 2015. Dans seulement quatre ans. Le nouveau Colisée sera 10 000 fois plus grand que ma salle de bains. Je lui souhaite bonne chance. Et je le félicite pour sa naïveté.

Le monde de la construction est un monde parallèle qui ne se soumet pas aux règles de la vie en société. Le reste du monde s'échange les services selon des normes définis. En respectant les horaires et les échéances. Vous commandez une pizza. Vous la recevez 30 minutes ou une heure plus tard, maximum. Le livreur de pizza comprend que si vous l'avez appelé, c'est parce que vous avez faim et que vous voulez sa pizza pour souper. Si le livreur de pizza appartenait au monde de la construction, il vous la livrait deux jours plus tard, en vous disant de vous compter chanceux de l'avoir. Parce qu'il y a un gars qui a appelé il y a un mois et qui ne l'a pas encore. L'urgence n'existe pas pour les entrepreneurs. Souvenez-vous du Stade olympique, on recevait la planète en entier. Pas grave. La grue était encore là lorsque la torche s'est allumée. Fallait que ça sèche.

Comprenons-nous bien, je ne doute pas que les gars travaillent fort, que les gars travaillent bien, que Rome ne s'est pas bâtie en un jour, mais des toilettes, bon sang, des toilettes!

Je suis mieux de m'y faire, après une telle chronique, quelque chose me dit que le nouveau CHUM sera prêt avant mon armoire à balais.