Je sais, vous ne l'aimez pas. Je sais, vous le trouvez gros et laid. Je sais, pour vous, c'est un échec. Une honte. Il a coûté trop cher. Vous voulez le détruire. Le raser. Le transformer en Ground Zero. Malgré tout, ce matin, je me suis donné l'innocente mission de vous convaincre de l'aimer. De l'apprécier. Et d'y croire encore.

Parce que je l'aime. Depuis le premier jour. Je m'en souviens, c'était en avril 1972, le maire Drapeau avait dévoilé la maquette du futur Stade olympique de Montréal. Wow! Une soucoupe volante posée sur la métropole. Avec un toit-parachute rétractable. L'architecte était Roger Taillibert, un vrai Français, comme Gustave Eiffel. Une merveille du monde, rien de moins, dans ma ville, ou plutôt dans celle du maire Drapeau. J'avais hâte de la voir pour vrai.

Trente-huit ans plus tard, je ne l'ai toujours pas vue pour vrai, la merveille. Il y a bien quelque chose qui lui ressemble au 4545, avenue Pierre-de-Coubertin. De loin, c'est même très beau. Mais plus on s'en approche, plus on s'approche d'une ruine neuve.

Les travaux de construction du Stade ont débuté en avril 1973. Ils ne sont toujours pas terminés. En mai 1975, le chantier tombe en grève. Un problème que les bâtisseurs des pyramides d'Égypte n'avaient pas. Les travailleurs ne se remettront à l'ouvrage qu'à la fin du mois d'octobre 1975 - moins de neuf mois avant l'ouverture des Jeux olympiques. Ils n'auront pas le temps d'ériger le mât. C'est donc avec un stade sans érection que Montréal accueille le monde.

Alors commence la malédiction du stade inachevé. Sa raison d'être, les Jeux olympiques de 1976, étant finis avant lui, il n'y avait plus d'urgence à le terminer. Plus d'orgueil non plus. Alors le Stade olympique est devenu cette pièce, au sous-sol de la maison, qu'on retape à temps perdu. Qu'on rafistole avec des bouts de deux-par-quatre. On est parvenu à terminer le mât. Puis on a posé une toile en rapiéçant quelques abris Tempo. La toile s'est percée. Alors on l'a laissé décapoté, puis on a posé un toit. Un toit fixe, mais pas fixe de partout. Des morceaux sont tombés. On a mis du stuc. On a bouché ça pour que ça ne coûte pas trop cher. Le toit s'est mis à couler de nouveau. On a mis des seaux. Et on a pris la précaution de ne pas s'en servir en hiver au cas où la neige le percerait.

On a donc un stade couvert dont on ne peut pas se servir quand le temps est couvert aussi. On peut l'utiliser seulement les jours où on n'aurait pas besoin de toit. Seulement au Québec...

Mais le gouvernement va remédier à ça bientôt. Un bientôt relatif, bien sûr. On étudie des projets de toit permanent qui tient. On n'arrête pas le progrès. Aussitôt qu'on aura décidé, on va sortir les marteaux.

Au point où on en est rendu, plutôt que de le transformer en bunker, pourquoi ne pas lui permettre d'être enfin ce qu'il aurait toujours dû être? L'endroit de nos rêves. Un stade avec un toit rétractable, qui laisse entrer le soleil les jours de juillet et qui protège des tempêtes les jours de janvier.

Qu'on le veuille ou non, le symbole de Montréal, ce n'est pas l'oratoire Saint-Joseph, Orange Julep ou un poulailler urbain. Le symbole de Montréal, c'est le Stade olympique. Même si on n'y va jamais, même si on le laisse dépérir, c'est quand même l'immeuble qui a le plus de gueule. Celui devant lequel les touristes se font prendre en photo.

Il nous a coûté 1 milliard. C'est énorme, mais c'est quand même seulement le coût d'un week-end à Toronto au mois de juin. Allongeons les sommes qu'il faut pour qu'il soit à son mieux. Comme ça, mon père n'aura pas fumé pour rien.

Si j'aime le Stade olympique même s'il est tout croche, c'est que c'est le seul endroit où on peut être une grosse gang ensemble. Et quand nous y sommes tous rassemblés, le Stade mal-aimé parvient chaque fois à se transformer en merveille. Comme quand on y a vibré ensemble pour Greg Joy, Gary Carter, le Manic ou Pink Floyd.

Une ville, ce n'est pas seulement faire sa petite affaire de son bord, avec ses enfants et ses poules. Une ville, c'est parfois faire de grandes affaires ensemble. On a ce lieu. On a cet édifice qui nous le permet. C'est juste qu'on n'en profite pas. On le boude parce qu'il est sombre l'été et fermé l'hiver.

On envisage toujours sa rénovation comme une punition. Quin, mon maudit stade, prends ce clou-là dans le front! Et c'est toujours à recommencer. Parce qu'on ne gosse pas après un stade comme après un meuble IKEA.

La tâche de la RIO, ce n'est pas de fermer un dossier. C'est de nous réconcilier avec le Stade olympique. D'en faire le coeur de la ville. Le lieu des grands événements. Bref, qu'il cesse d'être une erreur. Et qu'on cesse de l'avoir en horreur. Ravalons toutes les insultes qu'on a dites à son sujet; les coupables, c'est nous. C'est nous qui manquons d'envergure, pas lui.

Il faut voir plus loin que le bout du toit. Et pour ça, il faut que le toit s'ouvre.