Deux stations AM sont mortes hier soir à 19h. Débranchées par leur propriétaire, Corus Entertainment. Info690 et AM940 vivaient sous respirateur artificiel depuis longtemps.

La bande AM est la calotte polaire des ondes radio. La bande AM est en train de fondre. Et rapidement. Il n'y a que CKAC qui a encore la tête hors de l'eau. Soutenue par les gros bras des milliers d'amateurs de sport du Québec.

Bien sûr la bande AM est une bande qui griche. Elle n'est pas feutrée comme la bande FM. Mais c'est une bande sur laquelle on a fait de la grande radio. Je ne m'ennuierai pas de l'antenne. Je vais m'ennuyer de ce que l'on faisait avec.

Les tout-petits, sachez que, durant ma jeunesse, il n'y avait que des stations AM ou presque. Et oui, ça grichait, dans ce temps-là. CKAC, CJMS, CKVL, CKLM, CBF... Chacune avait sa culture, son style.

CKAC, c'était l'information populaire. Une salle des nouvelles en ébullition. De Jacques Morency à Alain Gravel en passant par Pierre Bruneau, CKAC a été une école de journalisme.

On pouvait passer sa journée à écouter CKAC sans qu'il y ait jamais de temps mort. Sans jamais de remplissage. Ni de reprises. C'est Jacques Proulx qui animait l'émission du matin et qui réglait ma routine: à 7h10, Les insolences d'un téléphone de Tex Lecor, je me levais. À 7h25, la météo révisée avec le prof Lebrun, je déjeunais. À 7h45, le bulletin d'information Dimension, je montais dans l'auto avec papa.

Quand j'avais la grippe, c'était le bonheur. Je pouvais rester dans la voiture et écouter tout ce qui se passait après. À 9h, Suzanne Lévesque avec Touche-à-tout. Si la radio avait un temple de la renommée, Suzanne Lévesque y serait. Son micro serait accroché au plafond. Elle a inventé une façon d'animer. Une proximité, un ton, un plaisir d'une grande finesse, d'une grande intelligence. Les départements de communications des universités devraient faire entendre à leurs étudiants des enregistrements de ses émissions des années 70 et 80. Ce sont de petits chefs-d'oeuvre.

Après Suzanne Lévesque, c'était Pierre Pascau, L'informateur, le premier pourfendeur de torts. Puis Louis-Paul Allard, l'avocat inventeur des blagues de Newfie. On en raconte encore aujourd'hui. Et Les amateurs de sport, la tribune sportive, pionnière de toutes les Antichambre et Attaque à cinq d'aujourd'hui. CKAC, c'était bon même la nuit avec Jacques Fabi. Toujours pas remplacé. CKAC, la radio du lever au coucher, la radio de la chambre.

Si un de mes animateurs préférés était en vacances, je le trompais en écoutant les autres stations. Radio-Canada 690, la radio du savoir, où régnaient rigueur et fantaisie, avec les Le Bigot, Payette, Languirand. Fallait l'écouter avec attention. CBF-690, la radio du salon.

CKVL, la radio des tribunes téléphoniques. Vingt-quatre heures sur 24, de Frenchie Jarraud, le matin, à Roger «l'homme-est-sexuel-la-femme-est-amoureuse» Drolet, la nuit. En passant par Jacques Matti, Hélène Fontaine, Yvon Dupuis, Richard Morency et ti-Tom Lapointe. C'était souvent les mêmes personnes qui téléphonaient. On était en famille. Il y avait beaucoup de pubs de salons funéraires. Écouter CKVL, c'était comme écouter ses grands-parents. Les propos étaient emplis de gros bon sens presque campagnard. Ça radotait un peu, mais on y entendait la rue, le trottoir, les quartiers populaires. On était dans la cuisine.

Parfois, l'aiguille du cadran s'en allait à droite toute. À 1280, CJMS. La radio du fun. Avec les Paul Vincent, Claude Poirier, Rocky Brisebois, Michel Beaudry. On était sur le balcon. Et on s'amusait à regarder le monde passer. CJMS débordait d'énergie. C'est la radio des voisins qui font du bruit. C'est là que Paul Arcand, le numéro 1 de la radio en ce moment, a fait ses classes. Au 98,5 FM, il a apporté avec lui un peu du rythme et de la proximité du AM. Ce talent pour réagir à tout ce qui se passe.

En se baladant sur les ondes, on traversait sa maison, de la chambre à la cuisine au salon et au balcon. On traversait Montréal. CKAC, c'était le centre-ville et ses grosses affaires; CKVL, c'était Verdun et sa vie de village; CJMS, c'était l'est de la ville et ses chars qui pétaradent; et Radio-Canada, CBF, c'était Outremont et sa belle prononciation.

Aujourd'hui, toutes les radios semblent diffuser du même lieu. Dans une bulle aseptisée. On ne sent pas le monde autour. On ne sent pas le macadam. On est partout et nulle part. On est formaté. L'esprit du AM semble disparu à jamais. Pourtant, il vit toujours. Il a juste déménagé. Pas sur le FM. Sur le Net. Les tribunes téléphoniques de CKVL sont devenues tous ces commentaires sur les blogues. Les fans de ti-Paulot à CJMS sont des amis Facebook. Les anecdotes de Suzanne Lévesque sont sur Twitter.

Le Net est un fragment de textes. Le AM, c'était des éclats de voix. C'est ce qui me manque. Toutes ces voix qui habitaient les ondes. L'accent de Pascau, le rire de Lévesque, le sourire de Payette, l'essoufflement de Brisebois.

L'essentiel est invisible pour le coeur, on ne voit bien qu'avec la radio. C'est pour ça que je l'aime autant. Que je l'aime nombreuse. Et que j'ai toujours un petit pincement au coeur et à l'oreille lorsque des stations disparaissent.