Je ne suis pas un bébé. Je ne suis pas une personne âgée. Je ne suis pas une personne malade. Je ne suis pas un travailleur de la santé. Je ne suis pas une femme enceinte, non plus. Bref, je ne fais partie d'aucun des groupes qui doivent recevoir de façon prioritaire le vaccin contre la grippe A (H1N1).

Si jamais il reste des doses, je devrais donc pouvoir me faire piquer avant la fin de la construction du nouveau CHUM. En attendant, qu'est-ce que je fais? J'arrête de respirer? Je rentre chez les moines trappistes? Je m'habille en homme-grenouille? La deuxième vague sévit, comment faire pour surfer dessus?

 

À défaut de me donner le vaccin, le gouvernement m'offre une brochure. Ça s'intitule Grippe A (H1N1) - Ce que vous devez savoir, ce que vous devez faire. On y apprend d'abord que ce guide est très important et qu'il faut le conserver précieusement. On nous explique ce qu'est la grippe: une infection très contagieuse des voies respiratoires. On nous dresse la liste des personnes à risques. Et on rappelle combien il est important de se faire vacciner. J'veux bien...

Photos à l'appui, on nous montre comment se laver les mains en six étapes: mouiller, savonner, frotter, rincer, sécher, fermer. Enfin, je sais! On dit aussi que si on se sent faible, il faut se reposer. Un peu plus, on nous enseignerait comment dormir en trois étapes: s'allonger, se fermer les yeux, et ne penser à rien.

On nous indique que si on est confus, il faut aller aux urgences. Le problème, c'est que lorsque je serai confus, je risque de ne me plus me rappeler ce qui est écrit dans la brochure.

D'ailleurs, je suis peut-être déjà confus car j'ai relu la phrase suivante 10 fois avant d'en comprendre le sens: «Si vos symptômes durent plus de sept jours, vous pouvez reprendre vos activités quand votre état général vous le permet.»

Ça veut dire quoi? Plus vague que ça, tu tousses. Si ça fait sept jours que je suis malade, je peux reprendre mes activités pourvu que j'aille mieux??? Bref, si je me sens bien, je peux recommencer à travailler. À moins qu'il faille aborder cette directive a contrario. Si ça fait moins de sept jours que mes symptômes durent, il est préférable de ne pas reprendre mes activités, parce que je suis toujours contagieux. Plus ça fait longtemps que tu es malade, plus que tu peux retourner travailler parce que tu n'es plus un danger. Au fond le gouvernement se fout que tu sois malade comme un chien depuis un mois, pourvu que tu ne contamines personne. C'est ça le bien commun.

Je me moque mais je ne devrais pas. Écrire un guide de 16 pages sur la grippe, faut le faire. Au fond, tout tient en trois phrases...

Lavez-vous les mains, ne touchez pas aux autres, faites-vous vacciner. Si ça ne file pas, restez chez vous. Si ça va plus mal, appelez le docteur. Si vous êtes en train de crever, allez aux urgences. Pas besoin de compliquer ça comme un manuel IKEA.

Aussi vilaine soit-elle, une grippe, ça reste une grippe. Ce n'est pas la paralysie supranucléaire progressive, la myopathie de Duchenne ou la leucodystrophie. Une grippe, tu fais de la fièvre, t'as mal partout, pis tu ne files pas. Normalement, ça dure une semaine, si tu te soignes, et ça dure sept jours, si tu ne te soignes pas. Normalement quand t'as la grippe, personne ne te plaint. Personne ne te donne de cadeau non plus. Ceux qui vainquent la grippe ne deviennent pas des héros, n'écrivent pas de livre, et ne vont pas à la télé raconter leur combat. La grippe, c'est à peine une maladie, c'est banal, comme les pellicules. Il y a bien eu la grippe espagnole, mais personne ne s'en souvient. Pour la majorité des gens, la grippe espagnole, c'est ce qui explique la voix de Julio Iglesias.

La grippe a toujours été le moindre de nos soucis. Toutes les alertes à la pandémie nous paraissaient pathétiques. Ben oui, ben oui, la grippe aviaire... Ben oui, ben oui, la grippe porcine... On n'y croyait pas. Tellement que la plupart des Québécois ne souhaitaient pas se faire vacciner.

Ça, c'était avant. Avant lundi. Lundi, jour un de la grande vaccination, un jeune Ontarien en santé est décédé de la grippe A (H1N1). Tout a viré de bord. La file pour aller voir le film de Michael Jackson a changé d'idée et s'est précipitée vers le centre où on pouvait se faire vacciner. On ne veut pas ressembler à Thriller.

Depuis lundi, c'est l'opération piquez-moi. Rue Saint-Denis, des pushers chuchoteraient: pote, coke, vaccin anti-grippe A (H1N1), ils feraient fortune. Tout le monde veut sa dose. Un renversement de situation qui prend les autorités de cours. On ne s'attendait pas à une telle ferveur pour le vaccin. Le beaujolais nouveau songe à ajouter de l'adjuvant tellement c'est populaire.

Certaines personnes devront attendre encore au moins un mois avant de recevoir la potion magique. Que fait-on? La brochure a beau avoir 16 pages, elle se lit en un quart d'heure. Pour ne pas que les patients cessent de l'être, le gouvernement devrait nous occuper. Distribuer des masques et des gants dans nos boîtes aux lettres. Ou pourquoi pas une bonne soupe maison? Un petit geste rassurant pour ne pas que l'on cède à la panique. Juste pour sentir que même si on n'est pas bébé, âgé ou enceinte, on est quand même important à leurs yeux.

Bon vaccin tout le monde, profitez-en, c'est sur le bras de l'État. Et sur le vôtre, aussi!