C'est l'heure du cours d'éducation physique pour la classe de quatrième année C de l'école primaire Notre-Dame-de-Grâce. On a hâte. Le mardi matin, on joue au hockey cosom. Je plie la palette jaune de mon bâton en plastique pour la courber au max. Je suis prêt. Monsieur Thibault arrive enfin. Il a dans ses mains un ballon. Pas la petite balle trouée du cosom. Un gros ballon rond.

«Aujourd'hui, on va jouer au soccer.

Au sucker???

Non O'Brien, au soccer! En Europe, ils diraient au football!

 

Au football! Mais on est en culottes courtes...

Pas le football américain, le football tout court, comme tes culottes!

Le prof nous explique rapidement les rudiments de ce nouveau sport. On le connaît déjà un peu. On a déjà vu des gens jouer à ça dans des films français. À moins que ce soit la pétanque?

Écoutez, la gang! Vous n'avez pas le droit de toucher au ballon avec vos mains, mais vous pouvez le cogner avec votre tête.

Sauf Allard?

Pourquoi?

Parce qu'il n'a pas de tête...»

Pauvre monsieur Thibault! Il n'a pas devant lui des athlètes très ouverts d'esprit. On n'a pas envie d'assimiler toutes les subtilités du soccer. Nous, on voulait jouer au hockey, alors on va jouer au soccer comme on joue au hockey. Trois attaquants, deux défenseurs et un gardien. Je laisse mon bâton de côté. Et j'y vais avec les pieds. Pas facile, surtout lorsque l'on a les pieds croches. Quoique pour confondre la défensive adverse, c'est presque un avantage.

On ne sait pas trop quoi faire de nos mains. Les plus fringants se poussent à qui mieux mieux. Les plus amorphes se jouent dans le nez. Y'a même Allard qui mange son lunch en même temps qu'il doit garder les buts. Ça fait 30 minutes que l'on joue, toujours zéro à zéro. On a beau se forcer, on a beau essayer, ça ne fonctionne pas, y'a toujours un mur dans le chemin. Et le ballon n'est jamais du même côté que nous. Comme s'il nous snobait. Comme si on ne le méritait pas. Parce que trop incultes. On dirait qu'il veut rebondir jusqu'en Europe.

Soudain le petit Éric David se choque. Il crie, avec son accent pointu. Son père est français, un vrai, de France:

«Mais c'est pas ça du tout, le foot! D'abord, ça ne se joue pas à 6, ça se joue à 11. Et puis le filet, ça va pas! Comment voulez-vous que l'on fasse un goal dans des filets de hockey? Ça prend un filet beaucoup plus grand. Au moins six fois plus grand!»

Le prof se sent un peu remis en question. Il répond sur la défensive: «Écoute, Éric, je le sais que les filets de soccer sont plus grands, mais on n'en a pas des filets grands de même dans le gymnase. Tout ce qu'on a, ce sont des filets de hockey...»

«Alors jouons au hockey!» lance Garant. Tout le monde l'applaudit. Monsieur Thibault hausse les épaules: «Vous voulez jouer au hockey, ben jouez au hockey!» Et il s'en va! Yeah! On reprend nos bâtons, on se trouve une balle, et go Habs go! Le temps de le dire, et c'est déjà 5 à 2 pour nous.

La cloche sonne, c'est l'heure du dîner. On sort dehors. Éric David a ramassé le ballon de soccer. Il se met à dribbler. Son amie Johanne s'est mise devant la grosse clôture qui borde la cour d'école. Ils s'en servent comme filet. Il faut viser entre deux des poteaux. On s'invite dans leur jeu. Et bien vite on est 22 à courir après le ballon. La clôture de l'autre côté est devenue le filet de l'équipe adverse. Ça crie, ça rit, ça s'amuse. Autant en dedans le soccer, c'était plate, autant dehors, le soccer, c'est rond. C'est bon.

Quarante ans plus tard, rien n'a changé. Le hockey, c'est notre sport maison. Le soccer, c'est notre sport de récréation. Le hockey, c'est en dedans. Le soccer, c'est dehors. Le hockey est en nous. Le soccer est devant nous.

Aujourd'hui, il y a la grande finale de soccer au stade Saputo. L'Impact peut gagner le championnat. Et au Centre Bell, il y a le septième match d'une très longue saison de hockey. Le Canadien ne peut pas gagner grand-chose. Il peut plutôt perdre la face devant Kovalev et les Sénateurs. Pourtant pour la plupart des Montréalais, le match de la journée, c'est celui-là.

Le soccer est un sport qu'on nous a appris. Le hockey est un sport que l'on a toujours connu. Vous me direz que, maintenant, il y a plus de gamins qui jouent au foot que de gamins qui jouent au hockey, ça ne change rien. Le hockey fait partie de leur code génétique quand même. Le foot, ici, n'a pas encore de mythologie. Il n'a pas de Richard, Béliveau, Lafleur, Roy qui ont écrit l'Histoire. Le Manic n'a pas laissé de légendes. Peut-être que les joueurs de l'Impact commencent tranquillement à écrire celle du football au Québec, mais le Canadien a tellement d'avance qu'il ne faut pas s'étonner que ce soit le CH qui arrive premier dans nos coeurs, même avant que la première neige soit tombée.

Hal Gill n'y est pour rien. Mais Émile Bouchard y est pour beaucoup.

Bonne chance à l'Impact, bonne chance au Canadien... et à Kovalev!