On ne pourra pas dire que c'est la faute des journalistes. Même au plus fort de la série noire, aucun journaliste montréalais n'a réclamé la tête de Carbonneau. On ne pourra pas dire, non plus, que c'est la faute des fans.

Le Canadien avait beau avoir l'air d'une équipe de poules pas de tête, rares sont les participants aux tribunes téléphoniques qui souhaitaient le départ de Carbonneau. Tout simplement parce que tout le monde aimait Carbo. C'était le dernier des vrais. Les soirs où les joueurs traînaient les pieds, on pouvait au moins le regarder derrière le banc. Le regard vif, le menton fier, la prestance d'un Glorieux. Sa cravate avait beau être affreuse, le coeur, en dessous, était si beau qu'on se disait qu'un jour il irait nous la chercher, notre Coupe.

 

Si Guy Carbonneau a perdu sa job, c'est la faute du centenaire. Si cette saison était la 98e ou la 103e de l'équipe, l'organisation aurait été plus patiente. Après tout, le pire était passé. Le Canadien se remettait tranquillement en marche. L'équipe revenait à la maison, et sa fiche à domicile était impressionnante. Carbo avait mené le Canadien à la tête de sa conférence l'année dernière; on pouvait lui faire confiance. Ça ne se présentait donc pas si mal.

Mais pas si mal, ce n'est pas assez, l'année où ne cessent de résonner les trompettes à la gloire du Canadien. Rater les séries, ce serait la preuve que l'Histoire ne s'écrit pas au Centre Bell. Que toute l'Histoire s'est écrite au Forum. Que le grand livre est terminé. Que la flamme est éteinte.

Alors on a dépêché le Big Boss, le Big Bob, pour sauver les meubles. Dans les grosses catastrophes, l'État ne fait plus confiance à la police, l'État envoie l'armée. Gainey, c'est l'armée. Des fois, ça ne change pas grand-chose. Le feu est trop ardent, les vents sont trop forts. C'est ce qu'on va voir.

L'armée ne reste jamais de façon permanente. L'armée retourne toujours, un jour ou l'autre, dans sa caserne. Qui sera le nouveau chef de police? On ne le sait pas encore.

Une chose est sûre, le successeur de Carbo - on devrait plutôt dire de Gainey - devra être en mesure de s'exprimer dans la langue des Canadiens avec un «e». L'entraîneur du Tricolore s'adresse plus souvent à la nation que le premier ministre du Québec. Il est le gardien d'un joyau de la culture québécoise. Il doit être en mesure de communiquer, pas seulement avec Koivu, mais avec tous les fans.

Cela dit, cette tâche n'est pas si ardue que cela. Elle est même à la portée du premier anglophone venu, avec un minimum de bonne volonté. Don Lever, l'un des prétendants au trône, est prêt à prendre des cours de français chez Berlitz.

Bravo, Don! Mais pas besoin de citer Corneille dans le texte pour entraîner la sainte Flanelle. Je vais te faire économiser des sous. Le français d'un entraîneur du Canadien, ce n'est pas celui de Michel Houellebecq ou de Bernard-Henri Lévy. Côté vocabulaire, c'est un peu plus limité. Parfois, on se demande même si Jean Perron parle vraiment français. Et Jacques Demers itou. Ils parlent le céache. Un patois dérivé de la langue française. Un langage d'initiés qui ne comprend que quelques mots. C'est la langue du coach. Tout tient en huit phrases.

Voici les deux phrases à utiliser avant un match:

1. Chaque match est important.

2. Il va falloir sortir fort.

Voici les trois phrases à utiliser en cas de victoire:

1. On a eu le momentum.

2. Les joueurs ont bien joué sans la rondelle.

3. Il faut maintenant penser au prochain match.

Et voici les trois phrases à utiliser en cas de défaite:

1. L'autre équipe avait le momentum.

2. Les joueurs ont mal joué sans la rondelle.

3. Il faut maintenant penser au prochain match.

Voilà, c'est tout. Que le coach du Canadien soit né à Alma ou à Flin Flon, c'est l'intégrale de ses propos durant une saison. À ce compte-là, même Don Cherry serait capable d'être bilingue. No stress, Don Lever. Le seul mot vraiment compliqué est momentum. Et ça tombe bien parce que ce n'est pas un mot français. C'est anglais. Ce sera donc facile à maîtriser. Mais sachez seulement qu'entraîner le Canadien, c'est beaucoup plus que savoir dire quelques phrases en français. C'est être sensible à ce qui fait la richesse de cette équipe.

Si Patrick Roy est un meilleur candidat que Don Lever pour devenir le prochain entraîneur du Canadien, ce n'est pas une question de capacité de parler français, c'est une question d'identité, c'est une question d'âme.

Un anniversaire, ça ne se célèbre pas seulement pour vendre des casquettes. Ça se célèbre surtout pour comprendre qui nous sommes, d'où nous venons et où nous allons. En se remémorant les exploits des Maurice Richard, des Jean Béliveau, des Guy Lafleur, on saisit ce qui fait la particularité du Canadien de Montréal. Ce qui a rendu cette équipe spéciale durant tant d'années. Le Canadien de Montréal est l'équipe d'un peuple. Le Canadien de Montréal est une équipe nationale. Ce que ne seront jamais les Thrashers d'Atlanta ni les Predators de Nashville.

Le peu de souci à mettre en valeur les talents d'ici est en train de rendre notre équipe banale, ordinaire. Quand on voit Ribeiro, Robidas et Bégin s'illustrer à Dallas, on se dit qu'il y a quelqu'un qui ne comprend pas ce qu'est l'âme du Canadien.

Une équipe de French-speaking players dont on ne voulait pas ailleurs et qui sont devenus les meilleurs. Durant 100 ans. Ou presque...

Pour joindre notre chroniqueur: stephane@stephanelaporte.com