1619. Les premiers Africains arrivent dans les colonies anglaises d'Amérique. Ils ont été déportés de force de leurs villages. Ils deviennent esclaves dans des plantations de canne à sucre, de tabac ou de riz. Ils n'ont aucun droit.

Extrait de la Constitution de la Caroline : «Tout homme libre de Caroline aura pouvoir absolu et autorité sur ses esclaves noirs...»1776. Les États-Unis deviennent indépendants. Mais pas les Noirs. Dans les États du Nord, ils sont juridiquement libres, mais la loi ne les protège pas et la société les condamne à la pauvreté. Dans les États du Sud, c'est l'âge d'or de l'esclavage. Il permet aux grands propriétaires de faire fortune, alors on ne s'en prive pas. Ces propriétaires calculent leur nombre de suffrages selon cette équation : un Noir égale trois cinquièmes d'un Blanc.

Les immigrés arrivés librement en Amérique ont inventé l'American Dream. Les Noirs, arrivés attachés, muselés, contre leur gré en Amérique, n'ont pas le droit de rêver. Pour eux, c'est l'American Nightmare. Et il va durer longtemps. Encore plus longtemps que les lois et les voeux pieux.

Tous ces hommes et toutes ces femmes humiliés, battus, tués, uniquement parce que la pigmentation de leur peau n'est pas la même que celle des Blancs, c'est de la folie. L'humanité est un malade mental.

1865. À la suite de la guerre de Sécession et de la victoire des États du Nord sur ceux du Sud, l'esclavage est aboli. Mais pas la ségrégation. Le Ku Klux Klan installe un régime de terreur pour dissuader les Noirs de profiter de leurs droits nouvellement acquis.

1896. La Cour suprême des États-Unis approuve les établissements publics séparés pour les Noirs. Il y a des commerces, des bars, des hôtels interdits aux Noirs. Il y a l'Amérique des Blancs et celle des Noirs. Et les Noirs seront constamment diminués, rejetés, privés. Durant des décennies et des décennies.

1955. Rosa Parks refuse de donner sa place à un Blanc dans l'autobus. Elle est arrêtée ! Pas en 1655. En 1955 ! Mon frère était né. Bill Hailey chantait Rock Around the Clock. Et une dame de 42 ans se faisait arrêter parce qu'elle ne voulait pas donner son siège à un Blanc dans l'autobus ! Pas dans l'Allemagne nazie. Aux États-Unis. La plus grande démocratie du monde. Le courage de Mme Parks entraîne des soulèvements qui ébranlent tout le pays.

1957. L'armée fédérale doit protéger l'entrée d'enfants noirs à l'école de Little Rock, en Arkansas. On ne peut plus séparer enfants blancs et enfants noirs. Et certains parents blancs sont outrés, révoltés et violents. Les lois changent, mais les préjugés demeurent.

Il faudra des années de combat par les mouvements noirs pacifistes et radicaux pour que la ségrégation cesse. Malgré les violences, malgré les sacrifices, malgré le rêve de Luther King, le racisme, lui, n'a jamais cessé. Mais les Noirs ont maintenant les mêmes droits que les Blancs. Et les mêmes espoirs.

Aujourd'hui, 53 ans après Rosa Parks, un président blanc va peut-être céder sa place à la Maison-Blanche à un président noir. D'une place dans l'autobus à une place dans la voiture du président, c'est le chemin qu'aura parcouru l'Amérique, le temps qu'un enfant devienne quinquagénaire.

Si Barack Obama est élu président des États-Unis, mardi soir, ce ne sera pas seulement la victoire des démocrates. Ce sera la victoire de la liberté, de l'égalité et de la fraternité sur l'Histoire. Une des trop rares victoires de l'amour sur la haine. Quatre cents ans de racisme seront vaincus.

Comprenons-nous bien, les Américains ne doivent pas voter pour Obama parce qu'il est noir. Mais ils ne doivent pas non plus voter contre lui parce qu'il l'est. Comme ils ont trop souvent refusé l'accès au pouvoir, à l'école ou au water-closet à des hommes simplement parce qu'ils étaient noirs.

Ils doivent voter pour lui s'ils croient qu'il est le meilleur des deux candidats. Sans que la couleur de sa peau vienne fausser leur jugement. Parce que le meilleur peut être Noir. Comme il peut être rouge ou jaune. Parce que le Blanc n'est pas meilleur que les autres par sa naissance, par sa peau. Nous sommes tous pareils et différents. Et chaque être humain doit avoir la chance de prouver ce qu'il vaut. Sans être brimé. Il aura fallu 400 ans pour comprendre ça.

Un Noir responsable de la planète ? Il y a des despotes et des führers qui vont se retourner dans leur tombe.

La seconde révolution américaine débute mardi, si son peuple le veut bien.

Vive l'Amérique libre !

Et vienne le jour où l'apparence physique ne sera même plus un sujet. Et où nous ne parlerons des humains qu'en fonction de leur esprit et de leur âme.

Dans 400 ans ? Peut-être...