Le menu offre à très bas prix le Petit Dej' de Minuit ou bien le Grease Truck, un sandwich de poissons et crevettes. Le bar Notre-Dame des quilles, ouvert depuis bientôt trois mois, est vite devenu un rendez-vous de la jeunesse dorée du Mile-End.

Situé à la limite du quartier hipster de Montréal et de la Petite-Italie, il fait partie d'une nouvelle vague de commerces qui redonne vie à ce segment du boulevard Saint-Laurent qui a bien besoin d'un coup de balai et de pinceau.

On se rencontre entre amis au Notre-Dame des quilles et plutôt que d'offrir la traditionnelle table de billard, les propriétaires ont construit deux petites allées de quilles artisanales.

D'accord pour les quilles, mais pourquoi Notre-Dame? Pour les églises italiennes des alentours?

Une des patronnes, Zoé, 31 ans, tente d'expliquer: «Je ne me souviens plus très bien, il était tard dans la nuit... Il faut dire que ma salle de séjour est décorée d'images et de statues de la Vierge Marie... Je discutais avec mon associée...»

Zoé a grandi dans le Mile-End, où sa mère tenait une galerie d'art.

Et que veut-dire hipster, au juste? demande le vieux journaliste qui a connu les gens hip du temps des beatnicks, puis les hippies, mais hipster?

Derrière le bar, Pascha, 28 ans, propose une définition.

«Ce sont des gens de tendance gauchiste... Des gens indépendants qui font de la musique, des films ou des affaires de manière indépendante.

«Ici, c'est un bar de quartier relax, on l'on s'assoit pour bavarder. Hipster peut avoir une connotation négative pour certaines personnes. Ils disent qu'on se donne un genre.

«Par exemple, il n'y a pas de règlements dans le bar. Les allées de quilles sont là, gratuites, et les clients jouent comme ça leur tente. Ils commencent à nous demander des tournois, mais il faudra qu'ils s'en occupent.»

Vieilles quilles et boules roses

Le bar s'emplit pour le cinq à sept du vendredi. La clientèle est divisée 50-50 entre francophones et anglophones dans ce coin de ville très multiethnique. Les clients sont relaxes, il n'y a aucune tension et beaucoup de politesse et de courtoisie. Nous sommes bien dans le quartier hipster de Montréal...

Après quelques discussions arrosées, les clients se lèvent et plantent leurs quilles eux-mêmes, de vieilles quilles du temps où le bowling était très populaire au Québec, autant que le hockey. Les boules sont roses ou bleu poudre. Et ça commence, dans un bruit de salle paroissiale, les spectateurs applaudissent et donnent des conseils.

Zoé est contente. «Les affaires marchent mieux qu'espéré. Dès notre soirée d'ouverture, c'était presque plein. Tant mieux, parce que j'ai abandonné mon travail de cuisinière pour ouvrir ce bar...»

Pas très loin, sur le boulevard Saint-Laurent, un local vide nous rappelle que le légendaire Café Sarajevo vient tout juste d'agoniser. Pour de bon, selon nos amis bosniaques que nous allons certainement regretter.

Des galeries d'art dans des immeubles neufs et des condos élégants poussent un peu partout. La ville, mine de rien, se renouvelle toujours et parfois où on ne s'y attend pas.

Derrière le bar, Pascha parle de la mer qui est si belle en face de son Halifax natal. Elle y retourne l'été, quand le temps est trop humide à Montréal. (En passant, Halifax est le secret le mieux gardé au Canada. Halifax, ville universitaire avec ses restaurants raffinés, port de mer et cité coquette, vaut le déplacement.)

Les clients continuent d'entrer. Ils ont entre 25 et 40 ans. Personne ne crie...

La vie est agréable dans le Mile-End, n'est-ce pas, Zoé? On pourrait s'y adapter facilement, avec les Italiens tout près en cas de fringale...

«Oui, mais oubliez ça. Il n'y a plus de place et puis c'est devenu très cher. Les logements libres passent à des amis de ceux qui quittent. Ils ne sont jamais annoncés au public...»

Si vous aviez déambulé sur ce segment de la Main il y a deux ans ou même l'an dernier, vous auriez cru à un village fantôme. Pensez locaux vides, garages de débosselage et friteuse derrière une vitrine sale... Ce n'est déjà plus tout à fait le cas.

Cela dit, pour le coup de balai et de pinceau, il reste tout de même beaucoup de travail à faire.

Photo: Bernard Brault, La Presse

Les propriétaires du bar Notre-Dame des quilles ont fait construire deux petites allées de quilles artisanales. Les clients y jouent gratuitement, servis par les conseils des spectateurs.