Les Jeux de Montréal sont un événement sportif que les Montréalais boudent à tort. On y voit là le plus authentique et agréable visage du sport. Mais bon, ce n'est pas votre hockey adoré, n'est-ce pas?

Rendez-vous au centre Pierre-Charbonneau samedi pour les compétitions de judo où Gianni, 8 ans, fils d'un couple d'amis, allait livrer son premier véritable combat contre un adversaire étranger et inconnu.

Gianni est plutôt nouveau au judo, mais il est tellement appliqué, il maîtrise tellement bien la technique que son entraîneur du centre Père-Sablon a décidé de l'envoyer tout de suite dans la fausse aux kimonos.

J'ai rencontré Gianni la veille et il était un peu fantasque devant son copain William...

«Alors, Gianni, gros combat demain?

- Oui. Et après je vais dormir chez William.

- As-tu hâte?

- Oui.

- Es-tu un peu nerveux?

- Non. Je n'ai peur de rien en judo. Je vais gagner.»

Lendemain matin, 8h30, arrivée au centre Pierre-Charbonneau...

Au milieu de centaines de petits judokas fringants, devant de très officiels organisateurs et arbitres et quelques centaines de spectateurs dans les gradins, le visage de Gianni s'allonge un peu. Sa mère lui offre à manger, mais il ne peut rien avaler. Il est beaucoup moins fantasque que la veille.

À la pesée officielle, Gianni fait 20 kilos. Il sera le plus léger de toute la compétition. En fait, il est seul de sa catégorie. Rien que la peau et les os. Ses adversaires seront tous un peu plus lourds.

À la suite d'une confusion sur le plan de l'horaire, nous devons attendre trois heures avant le début des combats. Gianni a le temps de courir partout, de se chamailler avec William, de s'épuiser, d'avoir des étourdissements et de finalement avaler quelque chose de force. Ce garçon est minuscule, mais il a assez d'énergie pour épuiser plusieurs parents.

Un responsable des Jeux prend le micro et nous prévient: «Ceci n'est pas les Jeux olympiques. Nous sommes ici pour pratiquer un sport dans le respect de tous. Les entraîneurs ne doivent pas engueuler les jeunes et les jeunes et les entraîneurs doivent respecter la décision des officiels.»

Je me demande si on donne le même message aux hockeyeurs...

Un autre organisateur enchaîne: «Écoutez comme il faut parce qu'il y a des noms difficiles à prononcer.»

En effet, les Jeux de Montréal sont quand même un peu les Jeux olympiques si l'on considère les origines des athlètes. Et ils nous donnent, arrondissement par arrondissement, une bonne idée du portrait actuel de notre ville.

Show time !

Le grand moment arrive. La voix officielle appelle Gianni Imperato, arrondissement du Plateau-Mont-Royal. Notre héros se lève et se dirige vers le mauvais tatami. Il semble un peu confus et pâle. Son entraîneur le ramène au bon endroit.

Le premier adversaire sera Djaber Younet, de l'arrondissement de Verdun.

Au premier contact, les deux combattants roulent par terre et Gianni se retrouve en dessous. Il tape sur le tatami et l'arbitre arrête le match. Durée: environ quatre secondes.

Gianni nous dit qu'il ne voulait pas capituler, mais qu'il essayait de se relever. Manque d'expérience. Il ajoute: «Il m'étranglait...»

On regarde autour où plusieurs combats se déroulent à la fois. Il y a des petites filles, des tigresses, qui donnent des volées terribles à des petits garçons. Les filles sont en général très agressives et rapides.

Il y a des combats spectaculaires et je commence à m'emballer sérieusement pour le judo. Il faut dire que je suis, comme Gianni, détenteur d'une ceinture jaune acquise au centre Paul-Sauvé dans les années 60. La ceinture a disparu depuis longtemps, mais le souvenir demeure. Le judo nous apprend à tomber sans nous faire mal, à nous maintenir en équilibre et bien d'autres choses. Il m'a servi dans tous les sports pratiqués par la suite. Je le recommande.

On recommence

Deuxième combat pour Gianni. L'adversaire sera Gabriel Escobi, de l'arrondissement de Verdun. Notre homme se dirige vers le mauvais tatami encore une fois et son entraîneur doit le ramener au même endroit que plus tôt. On s'interroge sur son niveau de concentration.

L'affaire dure quelques secondes de plus et Gianni, après s'être fait secouer dans tous les sens par un opposant plus expérimenté, perd par immobilisation. Son manque de poids joue contre lui.

Cette fois, il est fâché et il pleure.

Son troisième combat l'oppose à Nicolas Lorion-Fareau, de l'arrondissement de Verdun. Même résultat. Gianni a le visage écrasé sur le plancher. Défaite par immobilisation. Il s'en relève comme s'il se trouvait dans une autre dimension. Les yeux dans le vide, indifférent aux consolations de ses parents, qui ont les jambes molles eux aussi. Il n'est plus là. J'ose quelques mots d'encouragement, mais Gianni me regarde en silence et ses yeux me disent: Dégage!

Un garçon sur le tatami voisin est blessé. Il se tient le poignet et retient ses larmes. Les autres enfants le regardent en silence, sérieux et compatissants. Le jeune homme salue - c'est le rei où l'on incline la tête et le torse devant l'adversaire et l'arbitre - en grimaçant et il se retire avec noblesse. On le salue en retour.

Il y a de bien beaux moments aux Jeux de Montréal.

Combat final

Quatrième et dernier combat pour Gianni, qui affrontera cette fois Leila Raïs, de l'arrondissement de Mercier-Hochelaga-Maisonneuve.

La toute petite et mignonne Leila est plus courte que Gianni, mais fait un kilo de plus. Leila ne gagne jamais, elle se fait bardasser dans tous les combats, écraser, étrangler, mais elle se relève toujours, très digne, retourne à sa place sans se plaindre et attend calmement le prochain calvaire.

Si j'étais son père, je ne suis pas certain que je la laisserais poursuivre. J'aurais le coeur dans les talons. Mais elle voudrait probablement continuer. Leila semble tout à fait sereine.

Dès le coup de départ, Gianni l'agresse rapidement, mais Leila se cabre. S'ensuit une longue épreuve de force, jusqu'à ce que Gianni réussisse un beau renversement, avec la hanche. Un ippon, je crois, assez compliqué, qui fait la joie de son entraîneur.

Soulagement pour Gianni et quelques rares points pour l'arrondissement du Plateau-Mont-Royal, qui ne remportera jamais de Jeux.

On remet une médaille à Gianni et puis une à Leila. Tous les deux sont couronnés champions de leur catégorie. Les organisateurs des Jeux savent faire les choses...

L'entraîneur Mohammed, qui est très habile avec les jeunes, convainc Gianni que pour un début, ce n'est pas mal du tout. Mais qu'il faut s'améliorer.

Nous retournons tous à la maison, soulagés. La première étape de la carrière de Gianni Imperato sur le tatami est chose du passé.

Photo: Marco Campanozzi, La Presse

La première étape de la carrière de Gianni Imperato sur le tatami est maintenant chose du passé...