La rue Jean-Talon, à l'est de l'avenue du Parc, était fermée à la circulation, hier, pour cause d'Indépendance. Celle de la Grèce en fait (25 mars 1921). Grand défilé officiel avec drapeaux bleu et blanc, des familles fières de leurs origines, quelques soldats canadiens, des policiers à cheval qui ont été fortement applaudis. D'autres manifestants, à cheval, se sont joints à eux et seul Zeüs sait d'où ils arrivaient.

Ce coin de la ville a déjà été très grec. Il reste surtout des commerces, des restaurants, des églises et le très joli parc Athena, avec la belle statue de la déesse toute-puissante, cadeau de la ville d'Athènes à Montréal, en 2000, en guise d'amitié.

Comme les Italiens qui ont quitté la Petite Italie pour y revenir seulement les dimanches et les jours de fête, les Grecs ont aménagé dans des quartiers plus chics. La Petite Italie est plutôt latino de nos jours.

Il y avait le maire Tremblay, bien sûr, qui ne rate jamais ces occasions, et puis Justin Trudeau, qui se trouvait dans sa circonscription en pleine campagne électorale. Il est flamboyant, le fils, avec des vêtements voyants comme achetés dans un défilé de mode. Les dames roucoulaient autour de lui en prenant des photos.

Je me suis surpris à penser qu'avec des leaders comme ces deux-là, on ferait peut-être mieux de déménager en Grèce, justement. Il y a de la corruption là-bas aussi, un peu de turbulence de ce temps-là, mais on ne gèle jamais comme hier à Montréal. J'ai quelques endroits à vous recommander, si jamais...

Tiens, voici Stéphane Dion. Le pauvre, personne ne voulait sa photo, encore moins poser à ses côtés. Il y a de grandes injustices dans la vie, comme on sait.

Je n'étais pas là pour les Grecs, mais pour les nouveaux habitants du coin, les Indiens, Pakistanais, Sri-Lankais, Bangladais... J'étais là pour la Coupe du monde de cricket qui, après deux mois de compétition, en est dans son dernier sprint.

On aurait dit qu'ils avaient cédé la rue aux Grecs pour la journée. Quand c'est une de leurs fêtes nationales, on les entend... jusque dans la Petite Italie.

Hassan Janjua, ancien joueur

Dans un restaurant pakistanais désert, quelques hommes bavardaient dans un coin. Est-ce qu'il y aurait un connaisseur de cricket qui voudrait me parler de la Coupe du monde?

On me dirige vers Hassan Janjua, 42 ans, un costaud qui sourit humblement. C'est lui l'expert, ancien joueur. «Le cricket est un sport de jeune homme. Maintenant, je me contente de regarder les matchs au parc Jarry...»

Parce qu'il y a des matchs au parc Jarry, l'été. Ainsi qu'à Verdun, dans le West Island, à NDG... Une ligue élite de 12 équipes et une fédération québécoise de cricket aussi.

Où en sommes-nous, M.Janjua? «Il reste quatre équipes. L'Inde et le Pakistan dans une demi-finale, le Sri Lanka et la Nouvelle-Zélande dans l'autre. La grande finale aura lieu le 2 avril en Inde. Il n'y a aucune surprise cette fois. Ces quatre équipes étaient parmi les favorites.»

J'ai lu quelque part que le Sri Lanka était favori pour tout gagner...

«C'est le Pakistan qui va gagner», répond M.Janjua, avant d'éclater de rire.

Et le Canada?

«Le Canada est une nouvelle équipe en développement. Elle a remporté un match dans ce tournoi. C'est bien.

«Quand j'étais jeune, disons il y a 20 ans, le Sri Lanka était la risée de la Coupe du monde. Mais ils en ont remporté une à la fin des années 90 et ils sont en demi-finale aujourd'hui. Le Canada est à 10-15 ans des meilleures équipes.

«L'équipe canadienne est formée d'Indiens, de Pakistanais, Sri-Lankais, Bangladais et Antillais. Mais dans notre ligue élite, il y a des Britanniques et des Australiens.»

Les drames...

Il y a souvent des drames à cette Coupe du monde, n'est-ce pas? Des joueurs ou des arbitres attaqués par des spectateurs, des dépressions nerveuses et des démissions fracassantes, des scandales de corruption...

«Oui, c'est vrai. Au Pakistan, des partisans ont déjà tiré sur l'équipe du Sri Lanka. Il y a eu des blessés graves.

«Quant aux matchs truqués, je dirai ceci: TOUS les joueurs de cricket prennent de l'argent sous la table. Partout dans le monde. Les plus grandes vedettes gagnent environ un million par année, si l'on additionne leurs commandites. Ils représentent des banques, des compagnies d'articles de sport, Pepsi... Mais ils ne sont pas riches comme les joueurs de soccer.»

Ils prennent de l'argent même à la Coupe du monde? «Oui, mais probablement pas dans les demi-finales et la finale. Les derniers qui se sont fait prendre ont été suspendus pour cinq ans. Ça brise une carrière.»

(Allo, allo, M. Bettman... Voilà comment on passe un message.)

Comme Montréal-Québec

«Si le Pakistan va en finale, j'organise une fête au restaurant pour le match. Mais il aura lieu à 4h30 de notre heure, au milieu de la nuit.»

Est-ce que vous regardez les matchs internationaux pendant l'année? «Oui, on les a par l'internet seulement. Les meilleurs sont ceux qui impliquent des grands rivaux. Les matchs Irlande-Angleterre, par exemple, sont très intenses. Puis il y a Inde-Pakistan, Australie-Nouvelle-Zélande, Inde-Sri Lanka... C'est comme Montréal et Québec.»

Les matchs durent trois jours? «Non, à la Coupe du mode, ce sont des Over 50. Ils durent une seule journée. Pour les test matchs, pendant le reste du temps, on joue jusqu'à cinq jours de suite.»

Il faut comprendre... Imaginez un tournoi de balle molle, avec les familles, femmes et enfants, sous des parasols à pique-niquer et s'amuser pendant que les hommes jouent. Il s'agit d'événements sociaux autant que sportifs, à Islamabad, Sydney ou Verdun.

À trois portes du restaurant pakistanais, il y a la boutique Chahat, spécialiste de l'équipement de cricket. Mais seulement à la belle saison. Chahat fait dans la vidéo en attendant le beau temps. Dans ce quartier, les commerçants connaissent le multitasking depuis des siècles...

Photo: Reuters

Le capitaine de l'équipe sri-lankaise de cricket, Kumar Sangakkara.