Plus de 50 ans après Claire Kirkland-Casgrain, première femme députée à faire son entrée à l'Assemblée nationale, il y a quelque chose d'enthousiasmant dans le fait de voir un nombre record d'élues marcher sur ses pas. Quelque chose qui pourrait nous faire croire que rien ne sert de légiférer en matière de parité au Parlement. Il suffirait de suivre la marche du temps et de s'en remettre à la bonne volonté des partis politiques.

Si on peut se réjouir des efforts des partis qui ont rendu possible cette percée féminine, s'il faut aussi saluer l'engagement de François Legault à nommer aujourd'hui un Conseil des ministres paritaire, on aurait tort de penser que la parité va désormais de soi. Atteindre la parité, c'est bien. La pérenniser, c'est mieux.

Comment y arriver ? J'aime bien la proposition d'un bonus parité formulée par le Comité des femmes de l'Amicale des anciens parlementaires du Québec. Un groupe transpartisan, surnommé à la blague les « suffragettes 2.0 », qui inclut les ex-députées Christiane Pelchat, Hélène Daneault, Louise Harel, Marie Malavoy et Carole Théberge. 

La loi qu'elles proposent pour garantir un Parlement paritaire accorderait une récompense financière aux partis qui feraient élire au moins 40 % de femmes. Une façon de faire qui pourrait se montrer plus efficace que l'approche punitive adoptée dans certains pays, comme la France qui, depuis l'an 2000, pénalise les formations politiques échouant au test de parité. Plus de 15 ans plus tard, si la proportion de femmes élues y a atteint un seuil historique, elle se situe encore sous le seuil minimum de 40 % requis pour parler de zone de parité. 

Plutôt que de faire l'effort de recruter des femmes, les partis préfèrent souvent payer une amende...

Mais pourquoi donc s'encombrer d'une loi au Québec alors que les résultats du dernier scrutin, avec 42 % d'élues, viennent de montrer qu'on peut atteindre la zone de parité tout naturellement, sans carotte ni bâton ? J'ai posé la question à l'ex-ministre péquiste Louise Harel.

Longtemps, Louise Harel, élue pour la première fois en 1981, a été réticente devant ce type de mesures pour favoriser la parité en politique. « J'ai longtemps cru que ce serait un long fleuve tranquille. » Un fleuve qui mène vers l'égalité, avec un nombre toujours croissant de femmes élues, année après année. Le temps semblait lui donner raison. En 1981, elles n'étaient que huit femmes députées, soit 6,5 % des élus. Leur nombre n'a cessé de croître jusqu'en 2003, où elles étaient 30 %. « J'ai cru sincèrement que ça allait de soi jusqu'à ce qu'il y ait un déclin en 2007 et que la proportion de femmes tombe en deçà de 30 %. J'ai alors compris qu'il n'y avait rien d'irréversible. »

Pourquoi est-ce important d'atteindre la zone de parité ? Par souci démocratique, d'abord et avant tout, dans une société où l'égalité est un principe fondamental. Mais aussi parce que le « bonus parité » est bénéfique pour tous, pas juste pour les femmes. Des études nous disent que la mixité dans une équipe de gestion est un gage de performance accrue. On sait aussi, grâce à une étude de la London School of Economics, que la parité - même quand elle passe par les mal-aimés quotas qui font craindre à tort une hausse du taux d'incompétence - a permis dans un pays comme la Suède de rehausser le niveau de compétence de la classe politique.

Pourquoi un seuil minimal de 40 % pour parler de zone de parité ? Parce que des études démontrent que, pour qu'un groupe ait un pouvoir d'influence sur les décisions d'une assemblée, il faut que sa représentation soit d'au moins 40 %. « En bas de ce seuil, les femmes ont pu avoir de l'influence au fil des années. Mais toujours à la marge », observe Louise Harel.

Seule femme en 150 ans à avoir été présidente de l'Assemblée nationale, Louise Harel croit qu'il serait plus que temps qu'une nouvelle femme obtienne ce poste et qu'on instaure un principe d'alternance. « On est dû ! »

Tout indique que cela n'arrivera peut-être pas cette fois-ci, le député de Lévis François Paradis, à qui François Legault a proposé le poste, étant déjà en position de tête.

Le fait de voir une femme dans un rôle traditionnellement masculin comme celui de président de l'Assemblée nationale envoie un message symbolique très fort, souligne Louise Harel. « Ça sert de modèle à des petites filles. »

Même si, depuis les suffragettes, les femmes ont fait des pas de géant en politique, dans l'inconscient collectif, le pouvoir est toujours vu d'abord et avant tout comme un univers d'hommes. Louise Harel se souvient d'un exercice de simulation d'assemblée à l'école primaire de son petit-fils il y a une dizaine d'années. Lorsqu'elle a demandé à la classe de 5e année devant elle qui voudrait être premier ministre, les gars ont levé la main. « Mais pas une seule fille ! »

Alors que les garçons se voyaient déjà aux commandes, les filles se demandaient si elles seraient à la hauteur. Une différence d'attitude qui semble profondément ancrée dans la culture. Dès l'âge de 6 ou 7 ans, des fillettes ont tendance à se croire moins brillantes que les garçons, a révélé, l'an dernier, une étude américaine du prestigieux journal Science.

Tout ça pour dire que, en dépit du record historique d'élues à l'Assemblée nationale, il reste beaucoup à faire pour atteindre une culture du pouvoir égalitaire. On ne peut se permettre d'arrêter en si bon chemin.

FEMMES À L'ASSEMBLÉE NATIONALE

2003 : 30,4 %

2007 : 25,6 %

2008 : 29,6 %

2012 : 32,8 %

2014 : 27,2 %

Source : Assemblée nationale du Québec