C'était un matin gris du mois de mai. Un matin anxiogène pour Ely* qui devait se présenter à la Chambre de la jeunesse à Longueuil. La dernière fois qu'elle y était allée, elle était en crise, assaillie par des idées noires. Cette fois-ci, avec Nana à ses côtés, sa patte contre ses pieds, la jeune fille se sentait plus solide, plus calme, moins seule.

« Si Nana n'était pas là ce matin, j'aurais senti que j'étais toute seule avec tout un poids sur les épaules », confie l'adolescente, en tenant fermement la laisse du chien collé à ses pieds, dans une petite pièce austère du palais de justice où elle attend son tour.

Cela fait des mois que j'entends parler de Nana, la nouvelle intervenante vedette du Centre jeunesse de la Montérégie. En août 2017, Nana est devenue le premier chien de soutien émotionnel auprès d'enfants pris en charge par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). Le chien, qui a été dressé par la Fondation MIRA, est à l'oeuvre dans le cadre d'un projet pilote innovateur. À Longueuil, Nana a déjà tout un fan-club au sein de la magistrature, des avocats et des intervenants qui travaillent auprès des enfants de la DPJ.

Pour une fille comme Ely, qui broyait du noir et a fait plusieurs tentatives de suicide, la présence de Nana a tout changé.

« En quelque sorte, ce chien l'a sauvée », dit Jennifer Ste-Marie, criminologue et agente de relations humaines au CISSS de la Montérégie-Est. Elle a été émue de voir l'effet magique que la présence apaisante de Nana a eu sur la jeune fille. « On vit tellement de choses difficiles. Des moments comme celui-là, c'est pour ça qu'on fait ce travail. »

Ely se rappelle bien ce jour où, alors qu'elle était en pleine crise d'anxiété, Nana est venue à ses côtés. « Directement, elle s'est mise sur le dos. Elle voulait que je lui flatte le ventre. Ça m'a fait sourire. Ça change vraiment les idées. » Les pouvoirs calmants de Nana sont uniques, dit-elle. « Ce n'est pas la même chose qu'une balle de stress. C'est un être vivant ! Comme on dit, le chien, c'est le meilleur ami de l'homme ! »

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« Tiens, c'est pour toi », a dit Danielle Proulx, maître-chien de Nana, en tendant une photo à Ely, juste avant son audience. Une photo de son labernois préféré aux grands yeux tendres. Tout au bas de la photo, quatre mots : « Nana veille sur toi. » La jeune fille a souri, émue. « Oh !... »

« Nana veille sur toi. » Et comment... Il fallait voir Nana se coller à Ely pendant l'audience à la Chambre de la jeunesse, à l'affût du moindre tressaillement. Elle s'est couchée aux pieds de la jeune fille, à l'abri du regard du juge. « Tu peux en tout temps baisser ton siège pour la flatter », a précisé Danielle Proulx, juste avant d'entrer dans la salle d'audience.

Cachée sous la table, Nana semblait somnoler, mais en fait, elle flaire tout. Une main qui tremble, une gorge qui se noue, des yeux qui s'embuent. Elle le sent, elle le sait.

Lorsqu'elle sentait qu'Ely devenait plus émotive, Nana lui rappelait qu'elle était là. « À un moment donné, je me suis mise à pleurer de joie. J'ai mis le pied sous la fourrure à Nana. Ça m'a fait du bien. Elle a mis ses pattes sur mes pieds aussi. Ça m'a vraiment beaucoup apaisée. Elle est merveilleuse. »

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« Nana fait de petits miracles », dit Danielle Proulx, qui, lorsqu'elle n'est pas maître-chien bénévole, est agente de relations humaines du CISSS de la Montérégie-Est. Elle croit tellement au projet qu'elle y travaille durant ses jours de congé. « Notre devise avec Nana, c'est : "L'essayer, c'est l'adopter !" »

Le juge Mario Gervais de la Cour du Québec, qui en était à sa première expérience vendredi avec un chien de soutien à la Chambre de la jeunesse, avait déjà entendu parler du projet Nana par l'entremise de ses collègues. « On accueille ce projet pilote avec ouverture, avec enthousiasme même. Ça se situe dans nos préoccupations d'être à la recherche de toute solution susceptible de rendre l'expérience plus agréable à l'enfant. Parce qu'on veut qu'un enfant sente qu'il peut participer au débat et non pas le subir comme un mauvais moment à passer. »

Après l'audience, Nana a croisé dans le corridor Stéphanie Paquette, criminologue. « Ah ! Nana... » Elle se retient pour ne pas la flatter, sachant que c'est un privilège réservé aux enfants que le chien accompagne.

« Nana est extraordinaire. C'est une intervenante cinq étoiles. »

- Stéphanie Paquette, criminologue

La criminologue en a eu la preuve par mille. Elle travaillait depuis un an et demi au dossier d'enfants de la DPJ qui refusaient de parler de ce qu'ils avaient vécu. Dès que Nana est arrivée dans le décor, coup de théâtre. Il y a eu un déblocage majeur. « Nana les faisait rire. Grâce à elle, ils ont pu dévoiler une situation d'abus physique dont ils n'avaient jamais parlé avant. Ils ont fait ça assis par terre, en parlant à Nana. Cela a fait en sorte que les enfants aient de meilleurs services. »

Mine de rien, Nana brise des solitudes et des silences profonds. Elle calme ceux que personne avant elle n'arrivait à calmer. Elle délie des langues qu'on croyait nouées à tout jamais.

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Si le projet Nana existe, c'est grâce au travail acharné de Danielle Proulx et de sa collègue Caroline Légaré, qui se sont lancées corps et âme dans l'aventure et se partagent la garde du chien. « Ça nous a pris un an pour bâtir le projet et le faire accepter au centre jeunesse. »

Danielle Proulx, qui travaille à la DPJ depuis 34 ans, a eu l'idée de monter ce projet pilote après avoir entendu parler à la télé de Kanak, le chien de soutien du Service de police de la Ville de Sherbrooke, qui accompagne de jeunes victimes d'agressions. Pourquoi ne pas avoir aussi un chien de soutien pour les enfants de la DPJ ? s'est-elle dit.

Nana est un labernois élevé dans le cadre du programme de chien d'assistance pour enfant présentant un trouble du spectre de l'autisme (TSA) de la Fondation MIRA. Danielle Proulx et Caroline Légaré ont passé une semaine chez MIRA pour y obtenir une formation de maître-chien et se voir attribuer le « bon chien » pour répondre à leurs besoins.

« C'est un chien qui n'a pas d'agressivité. Un animal qu'on a construit pour répondre aux besoins des humains. Tout ce qu'il aime, c'est d'avoir un humain dans le nez », explique Noël Champagne, psychologue et directeur de la recherche et du développement chez MIRA.

L'effet apaisant de la présence de ces chiens auprès des enfants ayant un TSA et de leurs parents est bien connu et a déjà fait l'objet d'études scientifiques. Ces dernières années, MIRA a commencé à recevoir des demandes pour que ces chiens interviennent dans d'autres contextes anxiogènes. « Je trouvais qu'on avait suffisamment de données probantes pour pouvoir le faire », dit Noël Champagne.

Un nouveau projet de recherche visera maintenant à recueillir des données sur les bienfaits de l'intervention de chiens comme Nana auprès d'enfants victimes de négligence ou de violences.

Il a fallu, bien sûr, trouver des fonds pour financer ce projet pilote. « MIRA nous demandait 3000 $ par année pour cinq ans. On a été chanceux. On a trouvé des donateurs privés », dit Danielle Proulx, qui prendra sa retraite dans quelques semaines. Elle espère maintenant que le projet pourra obtenir le financement nécessaire pour survivre. « C'est encore un projet pilote. On aimerait que ça devienne permanent. »

Ely l'espère aussi. « La présence de Nana, c'est un très bon moyen pour apaiser les jeunes. »

Le droit à l'accompagnement est un droit qui existe en protection de la jeunesse, souligne la criminologue Jennifer Ste-Marie. « Est-ce que ça pourrait être le droit à l'accompagnement par un chien ? Si dans la perception d'un enfant, c'est ça, l'accompagnement, il faudrait peut-être s'ajuster si on travaille pour l'intérêt d'un enfant. »

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Après l'audience à la Chambre de la jeunesse, Ely a dit au revoir à Nana.

La jeune fille est repartie tout sourire, la tête haute, une photo de Nana dans son sac. « Tu as été très bonne. Je suis vraiment fière de toi. Tout le monde qui t'a regardée aujourd'hui a dit bravo ! Tu as fait tout un cheminement. Continue ! », lui a dit son intervenante.

Nana est repartie aux côtés de son maître, après une autre intervention cinq étoiles. Elle a jeté un dernier regard à Ely, l'air de dire : « Ne t'inquiète pas. Je suis là. Nana veille sur toi. »

* Le nom est fictif, l'histoire ne l'est pas. En vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse, il nous est interdit d'identifier l'enfant ou ses parents.