Moi aussi.

Il y a eu ce professeur qui voyait chaque cohorte d'étudiants, et surtout d'étudiantes, comme un nouvel étalage de chair fraîche à tripoter. Je l'ai repoussé, comme d'autres avant moi. Mais j'ai encore la nausée quand je pense à ses mains sur mon corps d'ado, à son souffle sur mon cou.

Il y a eu toutes ces fois où j'ai dû presser le pas, le coeur battant, me sentant comme un animal traqué. Ces fois où j'ai dû crier, repousser, courir. Ça m'est arrivé à l'étranger, dans des pays plus machistes où l'on se méfie davantage. Dans les rues du Caire. Dans une ruelle de Jérusalem. Ça m'est arrivé ici aussi alors que je ne me méfiais pas.

Il y a ceux qui vous disent : «Ben voyons! Tu devrais être flattée de te faire draguer.» Ils confondent drague et abus de pouvoir, flatterie et harcèlement, ne voyant pas le fossé entre ce qui rehausse l'estime et ce qui rabaisse, humilie.

Tout ça semble anodin. On s'habitue, on hausse les épaules. Cela n'a évidemment pas la gravité d'un viol. Ce n'est que du harcèlement «ordinaire» comme en vivent trop de filles et de femmes. On se tait. On intériorise. On évite. On baisse les yeux. On fait un détour. On marche plus vite. On court. On rit même si ce n'est pas drôle. On a mal au coeur. Les harceleurs passent, le haut-le-coeur reste.

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La campagne #MoiAussi (#MeToo) a été lancée dimanche par l'actrice américaine Alyssa Milano, dans la foulée de l'affaire Harvey Weinstein, ce producteur d'Hollywood accusé d'agressions sexuelles. L'actrice a invité toutes les femmes ayant déjà subi du harcèlement ou une agression à caractère sexuel à écrire «#MeToo» sur les réseaux sociaux afin d'avoir une meilleure idée de l'ampleur du phénomène. Des milliers de confidences ont suivi. Au Québec, de nombreux témoignages ont déferlé aussi. Mis bout à bout, tous ces «moi aussi» solidaires forment un gigantesque et déprimant «nous aussi».

Si ce nouveau déferlement a quelque chose de bouleversant, il n'a malheureusement rien d'étonnant. Trois ans après l'électrochoc de la campagne #AgressionNonDénoncée lancée dans la foulée de l'affaire Ghomeshi, les témoignages qui se multiplient au Québec et ailleurs ont des airs de déjà-vu.

À chaque jour son indignation et son mot-clic... En France, la veille, c'était #BalanceTonPorc qui était à l'ordre du jour pour dénoncer le harcèlement sexuel. Juste avant, c'était #MyHarveyWeinstein lancé aux États-Unis.

Ici et ailleurs, les récits troublants se succèdent. Et on se demande combien il en faudra encore pour que les enjeux liés à la culture du viol soient vraiment pris au sérieux. Combien encore pour que les mentalités changent, pour que l'impunité cesse.

Les plus cyniques diront que tout cet étalage ne sert strictement à rien. Du vent pour faire tourner la girouette de l'indignation minute des médias sociaux. Dans quelques jours, après quelques manchettes et des avalanches de «J'aime» sur Facebook, un vent en chassera un autre.

Certains diront encore qu'en dénonçant pêle-mêle des cas de harcèlement sexuel et des cas de viol, on banalise le viol. Comme si on ne pouvait pas dénoncer l'un et l'autre. Comme si tout en distinguant les deux, on ne pouvait pas reconnaître qu'il y a là un continuum qui s'inscrit dans une même dynamique de rapports de pouvoir inégalitaires et malsains.

Y aura-t-il un «avant» et un «après» Weinstein, tel que le souhaitait Tanya Lapointe à Tout le monde en parle? Que restera-t-il de ce vent d'indignation dans quelques années? Quels changements saura-t-il provoquer? La loi du silence qui protège des prédateurs sera-t-elle vraiment levée? Il est encore trop tôt pour le dire. Mais à la lumière des scandales qui se suivent et se ressemblent ces dernières années, je me garderais d'être trop optimiste.

L'issue des dernières élections américaines nous a tristement rappelé que rien n'empêche un homme qui se vante de se comporter en prédateur sexuel d'être élu président des États-Unis. Pas assez grave pour le discréditer. Hier encore, sans surprise, ce même homme niait tout.

Les mots-clics passent, l'impunité reste. Même dans des milieux considérés comme progressistes. Pour l'heure, à défaut de prendre le pouvoir, des femmes prennent encore une fois la parole. Mais seront-elles entendues?