Souriante, Homa Hoodfar a franchi les portes du terminal international de l'aéroport de Montréal avec ce regard profond qu'ont ceux qui reviennent de loin. Le regard d'une survivante enfin libre.

Devant une haie de journalistes, des proches de la professeure canado-iranienne, libérée après près de quatre mois de détention en Iran, l'ont accueillie avec des fleurs et des cris de joie. Sa nièce Amanda Ghahremani ne lui lâchait pas la main. Comme si elle n'arrivait toujours pas à croire que sa tante Homa était bel et bien là à ses côtés. Libre. Souriante. Vivante. Debout.

La scène magnifique donnait des frissons. Joie et soulagement se lisaient dans les étreintes et les regards embués de ses amis et de ses proches qui l'attendaient avec impatience. Ils avaient craint le pire depuis ce jour de juin où la professeure montréalaise, en voyage en Iran, avait été jetée en prison à la suite d'accusations sans fondements. Ils ont remué ciel et terre pour qu'elle soit libérée. Cent douze jours plus tard, leurs efforts ont porté leurs fruits. La longue saison en enfer était enfin terminée. Et ils avaient peine à y croire.

Difficile en effet d'imaginer qu'il y a quelques jours à peine, cette femme élégante et brillante à l'humour pince-sans-rire qui s'est présentée devant les journalistes jeudi matin croupissait dans la funeste prison d'Evin, à Téhéran, où la photojournaliste canado-iranienne Zahra Kazemi a été torturée à mort en 2003. Voir Homa Hoodfar marcher, parler et rire librement, le coeur empli de gratitude pour tous ceux qui avaient travaillé à sa libération, la voir poser sa main sur celle de sa nièce adorée, c'était comme assister à une deuxième naissance. Même l'agent de sécurité de l'aéroport qui était aux côtés de la professeure enfin libre semblait ému devant ces retrouvailles hors de l'ordinaire.

Exténuée après 20 heures de vol et sept mois qu'elle a qualifiés d'amers, Homa Hoodfar, fragile et amaigrie, aurait pu rentrer chez elle sans s'adresser aux médias, elle qui a avoué avoir toujours été timide avec les journalistes. Mais elle tenait absolument à prendre la parole pour exprimer sa profonde gratitude envers tous ceux qui lui ont permis de rentrer chez elle, à commencer par le gouvernement canadien et le gouvernement d'Oman, qui ont facilité sa libération. Elle a aussi remercié tous les collègues, les étudiants et les militants des droits de la personne qui ont aussi rendu sa libération possible. D'autres avant elle n'ont pas eu ce bonheur. D'autres après elle ne l'ont toujours pas.

« C'est merveilleux d'être à la maison et de retrouver ma famille et mes amis », s'est exclamée d'emblée Homa Hoodfar. 

Elle a qualifié d'« incroyable » ce que l'on tient trop souvent pour acquis : le fait d'être dans un endroit où on se sent en sécurité, avec ceux qu'on aime.

La détention l'a laissée « faible et fatiguée ». « Le plus difficile, c'était de ne pouvoir communiquer avec personne », a-t-elle dit.

Elle n'a vraiment cru à sa libération qu'au moment où elle était dans l'avion la menant à Oman, un sultanat de la péninsule Arabique. « J'ai alors su que j'étais libre. »

Les retrouvailles avec sa nièce Amanda, qu'elle ne ‎s'attendait pas à voir à son arrivée à Oman, ont été très émouvantes. « Quand je l'ai vue, ce fut le moment le plus merveilleux. Je l'ai serrée dans mes bras et je me suis sentie libre. »

Considérée comme une prisonnière d'opinion, Homa Hoodfar était détenue en Iran de façon arbitraire. Spécialiste en études féministes de renommée internationale, elle s'est particulièrement intéressée à la condition des femmes musulmanes et au regard que porte sur elles l'Occident.

La professeure s'était rendue en Iran après la mort de son mari, emporté par une tumeur au cerveau. Elle voulait renouer avec sa famille et faire son deuil. Elle voulait aussi en profiter pour mener des recherches sur le rôle historique des femmes iraniennes en politique.

Arrêtée une première fois en mars, au moment où elle devait rentrer à Montréal, Homa Hoodfar a été libérée sous caution, avant d'être arrêtée une deuxième fois et emprisonnée le 6 juin. Atteinte d'une maladie auto-immune rare, la myasthénie grave, la professeure a dû être hospitalisée au mois d'août. Elle était alors à peine consciente et pouvait difficilement marcher et parler, selon les informations fournies par sa famille. On a eu très peur qu'elle ne survive pas à son incarcération.

Il semble que l'Iran reprochait à Homa Hoodfar d'avoir « baigné dans des activités féministes ». Ses recherches sur l'homosexualité et la sexualité des femmes en pays musulmans auraient froissé les autorités iraniennes.

Quoi qu'il en soit, l'épreuve qu'a vécue Homa Hoodfar ne va pas la dissuader de poursuivre ses travaux de recherche. « Cela a ouvert de nouvelles voies que je n'aurais peut-être pas poursuivies de la même façon avant. »

À une journaliste qui lui demandait si elle pensait retourner en Iran, Homa Hoodfar a répondu en riant : « Pour le moment, je pense que je vais rester à Montréal ! »

Elle s'est ennuyée de l'été montréalais, qui est sa saison préférée, a-t-elle dit.

Vers 9 h, Homa Hoodfar, prête à rattraper le temps perdu, a filé vers la sortie de l'aéroport, pourchassée par des photographes qui la suivaient comme on suit une rock star. Elle a senti l'air de Montréal qui lui avait tant manqué. Elle est montée à bord d'un bon vieux taxi montréalais qui allait enfin la ramener chez elle. Elle a levé le pouce en l'air en faisant un grand sourire aux photographes. En ce matin d'automne au soleil généreux, le mot « liberté » prenait tout son sens. Le mot « courage », aussi. Bon retour chez vous, Mme Hoodfar.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Une armée de médias ont assisté aux retrouvailles de la professeur et de ses proches, à l'aéroport Pierre-Elliott-Trudeau.