Voilà plus de 100 jours que l'anthropologue montréalaise Homa Hoodfar est détenue en Iran. Cent jours passés dans la funeste prison d'Ervin, à Téhéran. Cent jours d'inquiétude et d'angoisse pour ses proches. Cent jours à réclamer sa libération. Cent jours à espérer que son sort ne soit pas celui de la photojournaliste canado-iranienne Zahra Kazemi, torturée à mort dans cette même prison en 2003.

Hier midi, à Montréal, des étudiants et des collègues de la professeure étaient réunis place Norman-Bethune, au centre-ville, à deux pas de l'Université Concordia où Homa Hoodfar a travaillé pendant 30 ans. « Libérez Homa ! » scandaient-ils.

L'initiative était celle de Hayley Lewis, une ancienne étudiante de Homa Hoodfar. Pour elle et pour tant d'autres étudiants, Homa était beaucoup plus qu'une professeure. « Elle est un mentor. Je n'en pouvais plus de lire sur internet des nouvelles au sujet de cette femme pour qui j'ai beaucoup d'affection et qui est prise dans cette situation terrible. Quand j'ai su que son état de santé s'était détérioré, cela m'a poussée à agir. »

Bien qu'elle habite maintenant au Vermont, Hayley tenait absolument à organiser cette manifestation à Montréal. En solidarité avec sa professeure qu'elle aime tant. En solidarité aussi avec tous les prisonniers de conscience qui subissent le même sort. Lu sur une pancarte : « Nous sommes des chercheurs. Pas des criminels ».

Spécialiste d'études féministes de renommée internationale, Homa Hoodfar, 65 ans, qui a la triple citoyenneté canadienne, iranienne et irlandaise, s'est particulièrement intéressée à la condition des femmes musulmanes. Ses études, très nuancées, déconstruisent l'image stéréotypée que l'Occident se fait de la « pauvre-femme-musulmane-soumise ». Son fascinant livre sur le port du voile en Amérique du Nord* - dont j'ai déjà parlé au moment des débats de la commission Bouchard-Taylor - est une lecture essentielle pour quiconque s'intéresse de façon sérieuse à cette question.

À l'heure où ces sujets sont toujours d'actualité, la voix posée et réfléchie de Homa Hoodfar est aussi précieuse qu'essentielle, a rappelé hier sa collègue et amie de longue date Marguerite Mendell, professeure à l'École des affaires publiques et communautaires de l'Université Concordia. 

« Nous avons besoin de Homa. Nous avons besoin d'elle maintenant. » - Marguerite Mendell, collègue et amie de Homa Hoodfar

Comme tous ses proches et collègues, Marguerite Mendell est très inquiète pour son amie, emprisonnée à Téhéran depuis le 6 juin 2016. Inquiète pour sa santé physique - elle souffre d'une maladie auto-immune rare, la myasthénie grave, qui exige l'accès à des médicaments et à un suivi médical. Inquiète aussi pour la santé psychologique de son amie, qui a été placée en isolement. « Homa est une femme très, très forte, qui a du caractère et qui est très courageuse. Mais une expérience comme ça, c'est inimaginable, même pour les gens les plus forts. »

Homa Hoodfar s'était rendue en Iran après la mort de son mari, Anthony Hilton, emporté par une tumeur au cerveau. Elle venait de passer deux années éprouvantes au chevet d'Anthony, qui était lui-même un grand admirateur de la culture iranienne. Le voyage en Iran se voulait un nouveau départ. C'était avant tout pour elle une façon de renouer avec ses racines et sa famille, et de faire son deuil. Elle voulait aussi en profiter pour mener des recherches dans les archives du Parlement sur le rôle historique des Iraniennes en politique.

Au moment de quitter l'Iran, Homa Hoodfar a été arrêtée sur ordre des Gardiens de la révolution. On lui reproche de « collaborer avec un gouvernement hostile » ainsi que de « baigner dans des activités féministes ».

« J'ai juste peur qu'on l'oublie », m'a dit son amie Vrinda Narain, professeure de droit à l'Université McGill, qui milite activement pour sa libération.

Le fait que le gouvernement Harper ait rompu en 2012 les liens avec l'Iran complique les choses pour le gouvernement canadien. Malgré tout, Vrinda Narain fonde beaucoup d'espoir dans le travail de diplomatie.

Mardi soir à New York, le ministre des Affaires étrangères Stéphane Dion a rencontré pour la première fois son homologue iranien Javad Zarif, en marge de l'Assemblée générale des Nations unies. Des dossiers consulaires ont été abordés durant la rencontre. Il ne reste qu'à espérer que ce petit pas diplomatique puisse mener à l'annonce prochaine d'une bonne nouvelle pour Homa Hoodfar et nous tous qui attendons impatiemment son retour.

*The Muslim Veil in North America. Édité par Sajida Sultana Alvi, Homa Hoodfar et Sheila McDonough. Women's Press, Toronto, 2003