Je vous ai raconté en février l'histoire de Denis et Hélène Cadieux, des parents de Saint-Jean-sur-Richelieu qui se sentent forcés d'abandonner leur fils de 34 ans lourdement handicapé après s'être fait couper 70 % de leurs services de répit.

Deux mois plus tard, malgré les appels à l'aide lancés au ministre Barrette et à la ministre Charlebois, malgré l'indignation suscitée par la décision inhumaine du Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de la Montérégie-Ouest, rien n'a véritablement changé pour les parents de Jonathan Cadieux, sinon qu'ils se sentent encore plus en détresse.

« J'ai peur de ce qui va se produire », me dit le père, la voix brisée. Il répète qu'il ne veut pas abandonner Jonathan, qui a un âge mental de 8 mois. Mais il sent qu'il n'a pas le choix. « Le soir, quand on est collés sur le divan pour regarder la télé et que Jonathan me prend la main, je l'embrasse... et je me sens comme un traître », dit-il, en ravalant ses larmes.

Jonathan est atteint de trisomie 21, d'une déficience intellectuelle sévère et de graves troubles de comportement. Pour lui, Denis et Hélène Cadieux ont tout sacrifié. Pour lui, ils ont abandonné leur emploi. Pour lui, ils se lèvent tous les matins à 4 h et se couchent tous les soirs à 20 h.

Même si prendre soin de Jonathan est extrêmement exigeant, Denis et Hélène Cadieux veulent garder leur fils à la maison tant qu'ils seront assez en forme pour le faire - ils ont 70 et 67 ans. Mais avec les coupes dans leurs services de répit - que le CISSS dit avoir faites par souci « d'équité » et dans le but « d'harmoniser » les services -, ils ne voient pas comment ils pourraient y arriver.

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Le combat des parents de Jonathan est à bien des égards semblable à celui que mène le groupe Parents jusqu'au bout, qu'on a pu voir le 13 mars à Tout le monde en parle. En fait, Denis et Hélène Cadieux étaient des « parents jusqu'au bout » avant l'heure. Ils ont réclamé il y a plus de 15 ans le droit d'être reconnus comme famille d'accueil pour leur propre enfant avec tout le soutien que cela inclut : soutien financier, répit, vacances spécialisées, transport adapté sans frais, médicaments remboursés, etc.

À l'époque, leur demande avait été refusée. Mais en 2003, ils ont eu la chance de tomber sur un gestionnaire bienveillant qui s'est dit qu'il devait bien y avoir une solution plus humaine. Voilà des parents qui ont abandonné leur emploi et qui manifestent un dévouement exceptionnel pour leur fils lourdement handicapé. Voilà des parents qui offrent à Jonathan des services que même les ressources d'hébergement sont incapables de lui offrir. Comment les soutenir ?

C'est ainsi qu'on a décidé d'offrir aux parents de Jonathan des services de répit spécialisé leur permettant de garder leur fils à la maison. Mais voilà. À la suite d'une fusion en 2015 est venue une nouvelle administration au CISSS de la Montérégie-Ouest. La mesure d'accommodement jugée humaine en 2003 a été jugée « inéquitable » en 2015. Désolé, chers parents. Nous devons « harmoniser » les services. Débrouillez-vous maintenant. Les parents ont eu beau déposer des plaintes officielles pour faire annuler la décision et s'adresser au Protecteur du citoyen, rien n'y a fait.

En plus d'être inhumaine, cette décision dite « équitable » coûtera encore plus cher en fonds publics que ce qui était proposé jusqu'à maintenant. 

Pourquoi le ministre Barrette préfère-t-il payer 150 000 $ (le coût estimé pour placer son fils en hébergement) plutôt que 10 000 $ (le coût estimé des répits qui lui ont été coupés) ? demande M. Cadieux.

Parents jusqu'au bout ? Non, me dit Denis Cadieux, désespéré. « Moi, je suis un parent au fond du trou. »

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Le groupe Parents jusqu'au bout a lancé un ultimatum au ministre de la Santé, Gaétan Barrette, pour qu'il détermine d'ici le 15 avril des pistes de solution pour les quelque 2000 familles québécoises en détresse qui s'occupent d'un enfant lourdement handicapé. Les parents de Jonathan s'accrochent désormais à l'espoir que la solution proposée en soit une pour eux aussi.

L'histoire malheureuse de Dave Gagnon, ce père désespéré de Sainte-Anne-des-Plaines accusé d'avoir tenté de tuer son fils trisomique en mettant le feu à sa maison, la semaine dernière, montre qu'il y a urgence d'agir, croit Marie-Ève Tétreault, une des quatre mères du groupe Parents jusqu'au bout. « Ce n'était pas un ami personnel, mais on le connaissait. On savait ce qu'il vivait, on savait que c'était difficile. Quand on a appris ça, c'était très troublant pour nous. »

Personne n'endosse les gestes reprochés au père. Mais le drame révèle une détresse que vivent trop de familles d'enfants lourdement handicapés.

Marie-Ève Tétreault est une mère de famille de Chambly. Elle a trois enfants. Le plus jeune, Zakary, deux ans et demi, est né avec une grave malformation au cerveau - une maladie orpheline, le syndrome SPTAN1.

Du jour au lendemain, alors que l'échographie lui avait prédit un bébé en santé, Marie-Ève a vu sa vie changer du tout au tout. Infirmière auxiliaire, elle a dû abandonner son emploi pour prendre soin de son fils lourdement handicapé. Depuis sa naissance, il a dû être hospitalisé 16 fois. Chaque jour, il doit prendre 13 doses de médicaments. Il ne peut être nourri que par gavage. Le moindre virus peut le mener aux soins intensifs.

Le stress causé par la maladie est doublé d'un stress financier que le conjoint de Marie-Ève porte seul sur ses épaules. « On se retrouve cinq personnes, un salaire en moins et des dépenses en plus. » Les médicaments (qui ne sont pas entièrement remboursés par les assurances), les services de réadaptation (parfois inaccessibles dans le réseau public), l'équipement spécialisé... Tout cela finit par coûter très cher et par faire des trous géants dans le budget familial. 

« On essaie de survivre comme ça avec le peu qu'on a. » - Marie-Ève Tétreault, mère de Zakary, atteint du syndrome SPTAN1

Pour arriver à joindre les deux bouts, la famille doit faire des campagnes de financement. « C'est pénible », souffle Marie-Ève.

Le gouvernement dit qu'il offre déjà de l'aide aux familles dans cette situation. Mais c'est de toute évidence insuffisant. Les parents doivent sans cesse se battre pour obtenir des services. « Ce qui nous épuise le plus, c'est la lourdeur du système, la paperasse et toutes les batailles qu'on doit faire chaque jour. Si je n'avais qu'à m'occuper de mon enfant, ce serait déjà beaucoup mieux psychologiquement. Les pères, c'est la même chose. Ils ont tout le stress financier. Ils ne peuvent pas être malades. Ils ne peuvent pas être en dépression. Ils n'ont pas le choix d'aller travailler, sinon leur femme et leurs enfants n'auront pas de quoi manger. »

Parents jusqu'au bout ou parents « au fond du trou », tout ce que demandent ces pères et ces mères dévoués qui font épargner des millions de dollars à l'État, c'est de pouvoir continuer à prendre soin de leurs enfants dans des conditions décentes. Souhaitons que le gouvernement, qui se dit « très sensible » à leur cause, agisse en conséquence.

UN GOUVERNEMENT « TRÈS SENSIBLE »

J'ai voulu savoir ce que répondait le ministre Gaétan Barrette aux parents de Jonathan Cadieux ainsi qu'au groupe Parents jusqu'au bout. Bien que le ministre de la Santé se soit personnellement engagé sur le plateau de Tout le monde en parle à donner suite à ce dossier, on m'a répondu que l'aide aux personnes handicapées relevait de la ministre déléguée à la Réadaptation, Lucie Charlebois, et que c'est à elle qu'il fallait poser les questions.

Réponse de son attachée de presse, Bianca Boutin, au sujet de la situation de la famille Cadieux : 

« Le gouvernement est très sensible à la situation de ces familles, c'est pourquoi un grand nombre de programmes et de mesures sont déployés.

« Plusieurs services sont disponibles pour les familles ayant un enfant handicapé. Nous avons l'entière collaboration et nous accordons toute notre confiance au travail des CISSS et des CIUSSS en ce qui concerne l'octroi des services. Nous souhaitons que toutes les personnes qui désirent rester à leur demeure puissent le faire, et ce, aussi longtemps qu'elles le souhaitent. Toutefois, compte tenu de la confidentialité des dossiers de santé, vous comprendrez que nous ne pouvons commenter ce cas particulier. [...] »

En réponse aux revendications de Parents jusqu'au bout : 

« Nous comprenons la situation exceptionnelle de ces familles. C'est pourquoi un comité interministériel étudie actuellement les solutions envisageables afin d'adapter les programmes existants. Le comité est à la recherche de solutions qui correspondent aux besoins de ces familles. [...] »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Jonathan est atteint de trisomie 21, d’une déficience intellectuelle sévère et de graves troubles de comportement. Même si prendre soin de lui est extrêmement exigeant, Denis et Hélène Cadieux veulent garder leur fils à la maison tant qu’ils seront assez en forme pour le faire.

Photo Martin Chamberland, LA PRESSE

Marie-Ève Tétreault a dû abandonner son emploi pour prendre soin de son fils Zakary, lourdement handicapé.