Personne n'est raciste dans ce pays, si l'on en croit la rumeur publique. Même le gars accusé d'avoir tabassé un sikh à Québec dit qu'il a peut-être agi comme un « jeune con », mais qu'il n'est certainement pas raciste, une étiquette qui « l'écoeure au plus haut point ».*

Le raciste, c'est bien connu, c'est toujours l'autre. Moi, j'ai un ami marocain. Et le Doc Mailloux a un ami et un demi-frère noir, il n'est donc pas raciste non plus. Et Trump ? Sa femme Melania, elle-même immigrée, nous assure qu'il n'est pas raciste... Pas sexiste non plus, car, voyez-vous, sa femme est une femme.

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Des lecteurs se sont offusqués que je puisse parler de racisme, de profilage, de chômage, d'exclusion sociale et de pauvreté dans une chronique sur le feu qui consume Montréal-Nord, de nouveau ébranlé par une bavure policière. Dans l'esprit de certains, ceci n'a absolument rien à voir avec cela. Comme si la criminalité n'avait aucun lien avec la pauvreté et l'exclusion sociale. Il faudrait se contenter de parler d'une opération policière visant à arrêter des criminels de gangs de rue, de voyous qui font du saccage ou de jeunes qui ne prennent pas leurs responsabilités. D'un côté, de bons policiers qui font leur travail. De l'autre, des méchants criminels. Choisissez votre camp. Point final.

À mon sens, il y a dans cette histoire plus de points d'interrogation que de points finaux. Il ne s'agit pas ici de banaliser des gestes criminels. Mais pensez-vous vraiment qu'un homme de Montréal-Nord est traité par les autorités de la même façon qu'un jeune d'Outremont ? Pensez-vous qu'on met le même zèle à traquer la délinquance dans les quartiers pauvres et les quartiers riches ? Dans un pays où la marijuana est sur le point d'être légalisée, verrait-on une escouade tactique intervenir en force dans un quartier huppé pour arrêter des petits revendeurs et saisir 237 grammes de pot ?

Fredy Villanueva aurait-il trouvé la mort s'il avait été en train de jouer dans un coquet parc de Westmount ? Sans doute pas, écrit Dany Laferrière dans Tout ce qu'on ne te dira pas, Mongo (Mémoire d'encrier, 2015). Et si c'était arrivé, il n'y aurait sans doute pas eu d'émeutes. « Parce que les mouvements de violence viennent de ceux qui se sentent exclus du système ou qui ont l'impression d'être traités injustement, écrit-il. Si on veut condamner à tout prix la violence, il ne faut pas fermer les yeux non plus sur la violence ordinaire, celle qui se vit tous les jours, mais qui reste invisible à ceux qui ne sont pas dans le cercle de feu. »

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J'écrivais hier que Montréal-Nord brûle. Mais mon idée première en allant rencontrer des jeunes du quartier n'était pas tant de parler du feu que de ceux qui travaillent fort pour y échapper. Je voulais vous parler de Vanessa Després, par exemple, 26 ans, éducatrice à l'enfance.

Vanessa est la fille aînée de Beauvoir Jean, fondateur du premier gang de rue de Montréal-Nord devenu travailleur communautaire. Sa vie n'a pas été un long fleuve tranquille. Mais avec le soutien précieux d'organismes comme le Café-jeunesse multiculturel, elle a fini par trouver sa voie.

Vanessa constate que certaines choses se sont améliorées à Montréal-Nord depuis l'électrochoc causé par la mort tragique de Fredy Villanueva. Des efforts ont été faits pour la création d'emplois. Des initiatives intéressantes ont été mises sur pied par des organismes communautaires. Mais pour ce qui est de l'amélioration du lien de confiance entre la police et les jeunes du quartier, la jeune femme est plus sceptique. Si des efforts ont été faits - les policiers appelés à intervenir à Montréal-Nord ont tous reçu une formation relative à l'intervention auprès de minorités ethnoculturelles et à leurs perceptions de la police, comme le recommandait le coroner André Perreault -, la mort de Jean-Pierre Bony nous ramène malheureusement à la case départ, dit-elle. « C'est sûr que les policiers face à ces évènements, quand ils vont faire des interventions, ils savent que la communauté de Montréal-Nord est quand même fâchée et n'a pas confiance en eux. Ils ont sûrement de la crainte aussi. Peut-être que dans leurs interventions, ça prend le dessus et que c'est pour ça qu'il y a des erreurs. »

Cette méfiance va dans les deux sens, souligne-t-elle. 

« Les policiers mettent tous les gars du coin dans le même bateau. Comme la communauté met tous les policiers dans le même bateau. »

- Vanessa Després, résidante de Montréal-Nord

Quoi qu'on dise de Montréal-Nord, Vanessa n'élèverait pas ses enfants ailleurs. « Ce sont aussi les tragédies qui ont fait de moi la femme que je suis. Je suis quand même assez fière de ce que je suis devenue.

« Depuis que je suis jeune, je me dis : "Ce n'est pas vrai que parce que je viens de Montréal-Nord, je vais finir comme ils croient qu'on finit à Montréal-Nord." Je veux donner un bon exemple. Il n'y a pas juste de mauvais exemples à Montréal-Nord. »

Dans ses yeux, la fierté de ceux qui combattent le feu.

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*Citation tirée d'un article du Soleil 

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

« Depuis que je suis jeune, je me dis : “Ce n’est pas vrai que parce que je viens de Montréal-Nord, je vais finir comme ils croient qu’on finit à Montréal-Nord.” Je veux donner un bon exemple. Il n’y a pas juste de mauvais exemples à Montréal-Nord », a confié Vanessa Després à notre chroniqueuse.