Depuis janvier 2015, Audray Lemay travaillait comme intervenante auprès des victimes d'agressions sexuelles à l'Université du Québec à Montréal (UQAM). Son poste avait été créé dans la tourmente, dans la foulée du mouvement #AgressionNonDénoncée. En créant ce poste en dépit des restrictions budgétaires, l'niversité voulait montrer qu'elle avait à coeur cet enjeu. J'étais de ceux qui avaient salué cette décision.

Audray Lemay faisait un travail précieux à l'UQAM. Son travail répondait aux recommandations d'experts dans le domaine de la prévention des agressions sexuelles en milieu universitaire. Mais depuis le 1er avril, Audray Lemay ne travaille malheureusement plus à l'UQAM. Son contrat n'a pas été renouvelé. Pour des questions budgétaires, lui a-t-on dit. C'était juste avant que l'on apprenne qu'un contrat de sécurité de près de 50 millions de dollars sur sept ans avait été accordé à Garda pour assurer la surveillance des pavillons de l'UQAM...

Quand elle a su que son contrat qui venait à échéance le 30 avril ne serait pas renouvelé, Audray Lemay a donné sa démission et s'est trouvé un nouvel emploi. « J'étais déçue, peinée, fâchée, me dit-elle. C'était un poste qui était important. Il n'y a aucun autre poste comparable à l'UQAM. »

L'automne dernier, le vice-recteur Marc Turgeon, réagissant à une de mes chroniques où je reprochais à l'UQAM de ne pas prendre au sérieux la question du harcèlement sexuel, soulignait lui-même l'importance de la mission confiée à Audray Lemay. « Cette personne a un rôle important, disait-il. Elle offre une écoute aux personnes qui voudraient porter plainte et participe au développement des activités de sensibilisation et de formation autour de ces questions. »

Au cours de son bref mandat, Audray Lemay a remarqué qu'il y avait encore beaucoup à faire en matière de prévention et de soutien aux personnes victimes d'agressions à l'université.

« Là où le bât blesse, c'est qu'il y a un clash majeur entre la perception de la gravité des faits reprochés à une personne en autorité et le sérieux avec lequel c'est traité. C'est un gros obstacle. »

Résultat : trop souvent, les victimes n'ont pas le sentiment que justice a été faite.

Qu'arrive-t-il aux victimes d'agression sexuelle qui ne sont pas prises au sérieux ? « Tant les témoignages des victimes que les études sur le sujet nous disent que l'inaction des institutions peut avoir des conséquences aussi graves que l'agression elle-même », dit Audray Lemay, qui est sexologue et psychothérapeute. C'est d'ailleurs ce qui ressortait du témoignage d'une ex-étudiante de Harvard qui participait récemment à la campagne de sensibilisation sur le consentement « Sans oui c'est non », à laquelle l'intervenante a collaboré. « Le fait de ne pas se sentir protégée par son institution avait aggravé dans son cas ses symptômes de dépression. »

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L'UQAM prend-elle assez au sérieux la lutte contre le harcèlement et les agressions sexuelles ? Je posais la question l'automne dernier. J'avais quelques doutes après avoir été témoin d'un cafouillage dans le traitement d'une plainte. J'en ai encore plus après avoir pris connaissance d'une lettre envoyée lundi au recteur par 127 membres de l'UQAM - professeurs, employés et étudiants - exprimant leur grande inquiétude quant à la volonté réelle de l'administration de prendre à bras-le-corps le problème.

Les signataires dénoncent la suppression du poste d'intervenante créé en janvier 2015. Ils déplorent l'absence de sanctions ou l'application de sanctions trop légères en regard de la gravité du geste reproché - « et ce, malgré certaines recommandations émises par des enquêtrices, enquêteurs externes ou par des représentants du Bureau d'intervention et de prévention du harcèlement ». Ils dénoncent aussi ce qu'ils voient comme un « sabotage » des travaux de révision de la politique sur le harcèlement (la politique 16). Entrepris en mai 2014, ces travaux n'ont encore mené à rien de concret.

« Un pas en avant, deux pas en arrière. » C'est ainsi que les signataires de la lettre résument ce qui s'est fait à l'UQAM en matière de lutte contre les agressions sexuelles, près de deux ans après la création d'un comité institutionnel chargé de réviser la politique 16.

Que leur répond l'administration ? Il a été impossible hier d'obtenir la réponse du recteur ou du secrétaire général de l'UQAM, aussi interpellé dans la lettre. « La réponse aux signataires de la lettre sera transmise par le Secrétaire général avant 17 h, demain [aujourd'hui] », me dit Jenny Desrochers, porte-parole de l'UQAM. L'administration dit ne pas vouloir leur répondre par médias interposés.

Tout ce que l'on pouvait me dire, hier, c'est qu'il est faux de prétendre que l'UQAM ne s'occupe pas de ce dossier. « On s'en occupe. » Les travaux avancent au ralenti, en raison de l'absence de la directrice du Bureau d'intervention et de prévention en matière de harcèlement. Mais ils avancent, dit-on.

L'UQAM a dit à plusieurs reprises qu'il s'agissait d'un dossier prioritaire. Si c'est le cas, pourquoi dépenser des sommes colossales pour la sécurité alors qu'on ne peut renouveler le contrat d'une simple intervenante ?

On me répondra sans doute par une photo de locaux saccagés. C'est oublier toutes les vies saccagées par des agressions banalisées.

Des mois de tergiversations

Mai 2014

Création du Comité institutionnel contre le harcèlement sexuel, chargé de réviser la Politique 16 sur le harcèlement à l'UQAM.

Novembre 2014

Le scandale Ghomeshi donne naissance au mouvement #AgressionNonDénoncée. Des dénonciations anonymes plongent l'UQAM dans la tourmente. Des professeurs voient la porte de leur bureau placardée par des autocollants dénonçant la culture du viol.

Janvier 2015

L'UQAM signale une forte recrudescence des signalements et des plaintes. Afin de permettre au Bureau d'intervention et de prévention du harcèlement de mieux remplir sa mission, on embauche Audray Lemay, intervenante spécialisée en relation d'aide auprès des victimes d'agression sexuelle.

Mars 2016

L'UQAM ne renouvelle pas le contrat de surnuméraire de l'intervenante qui prenait fin le 30 avril. La mise en place d'une nouvelle politique sur le harcèlement se fait toujours attendre.

4 avril 2016

Un groupe de 127 membres de l'UQAM envoie une lettre au recteur Robert Proulx. Ils expriment leur « grande inquiétude » quant à l'engagement réel de l'administration de mettre un terme au problème de violence à caractère sexuel, incluant le harcèlement, à l'UQAM.