En moins d'une semaine, deux hommes détenus par l'Agence des services frontaliers du Canada sont morts. Deux autres. Depuis 2000, au moins 14 migrants sont morts alors qu'ils étaient détenus par les autorités canadiennes de l'Immigration.

Qui sont-ils ? Pourquoi étaient-ils détenus ? Dans quelles circonstances sont-ils morts ? J'ai posé ces questions à l'Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Je n'ai pas vraiment eu de réponse. L'ASFC confirme du bout des lèvres que depuis sa création, en 2003, 11 personnes détenues en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés sont décédées. Mais pour le reste, c'est motus et bouche cousue. En l'absence de mécanismes adéquats de reddition de comptes, ces morts troublantes restent le plus souvent invisibles.

Encore une fois, la semaine dernière, des défenseurs des droits de la personne ont réclamé plus de transparence et la mise sur pied d'un organisme indépendant de surveillance qui permettrait de faire la lumière sur de telles tragédies. L'ASFC est une police frontalière qui dispose de pouvoirs d'arrestation et de détention. Et pourtant, contrairement aux autres corps policiers, elle n'est soumise à aucun mécanisme indépendant de surveillance. Ce qui veut dire que lorsque survient un problème, c'est l'agence qui mène une enquête sur l'agence dans le plus grand secret. Une façon de faire qui n'inspire que peu de confiance et permet de camoufler aisément des cas d'abus de pouvoir. Combien de morts faudra-t-il pour changer les choses ?

L'an dernier, un rapport accablant de la faculté de droit de l'Université de Toronto qualifiait de cruelle, discriminatoire et arbitraire la détention d'étrangers par l'ASFC. 

On y mettait en lumière le fait qu'il était devenu routinier pour les autorités canadiennes de traiter comme des criminels des migrants vulnérables aux prises avec des problèmes de santé mentale. Il n'est pas rare qu'on les envoie, parfois pendant des années, dans des prisons à sécurité maximale, même s'ils ne sont en rien des criminels. Ces incarcérations ont des conséquences terribles sur la santé mentale de migrants laissés à eux-mêmes, sans statut, sans droits. Un rapport du Comité des droits de l'homme de l'ONU a aussi sonné l'alarme à ce sujet, dénonçant le piètre bilan du Canada en matière de détention des migrants.

Qu'est-il arrivé exactement aux deux hommes morts récemment en détention ? Mystère. Le ministre de la Sécurité publique Ralph Goodale s'est dit préoccupé par leur mort. Il a exprimé ses condoléances aux familles des défunts. « Nous ne pouvons toutefois pas commenter ces cas pendant qu'ils font l'objet d'une enquête », me dit Scott Bardsley, porte-parole du ministre.

On précise par ailleurs que l'ASFC « ne doit avoir recours à la détention qu'en cas de nécessité ». Son mandat exige « qu'elle protège la santé, le bien-être et la sécurité des détenus ». Les agents de l'ASFC doivent aussi agir « dans l'intérêt de l'enfant, conformément à la Convention relative aux droits de l'enfant des Nations unies ».

Or, le moins que l'on puisse dire, c'est que ces principes ne semblent pas toujours respectés.

Car comment expliquer, par exemple, qu'en janvier, un jeune Syrien de 16 ans qui cherchait l'asile au Canada ait pu être détenu pendant trois semaines ? Peut-on vraiment parler de solution de « dernier recours » dans un tel cas ?

Ce que les organismes qui travaillent auprès de ces personnes vulnérables constatent, c'est que même si le gouvernement libéral veut accueillir des réfugiés, même si Justin Trudeau parle des « voies ensoleillées », le message ne semble pas avoir été reçu à l'ASFC. Les détentions arbitraires n'ont pas cessé avec l'arrivée au pouvoir du gouvernement libéral.

Le ministre Goodale promet des changements. « Le gouvernement examine la meilleure façon de fournir des mécanismes d'examen adéquats à l'Agence des services frontaliers du Canada », dit son porte-parole.

Il faut saluer cet engagement. Car pour l'instant, pour trop de demandeurs d'asile détenus de façon arbitraire et pour tous les citoyens qui ont à coeur le respect des droits fondamentaux, les « voies ensoleillées » ressemblent à des corridors bien sombres.