« Claude Jutra était mon ami », a écrit Lise Payette, vendredi, dans une chronique où elle semble confondre pédophilie et homosexualité.

Bien des gens ont été scandalisés par cette chronique publiée dans Le Devoir. Je l'ai été aussi. Choquée par ce qui y était dit. Et choquée plus encore par ce qui n'y était pas dit. Car il y a de ces silences plus atterrants encore que toute parole.

Après les révélations de la semaine dernière, comment parler de Jutra sans prononcer le mot « pédophilie » ou « agression sexuelle » ? Comment le faire en passant complètement sous silence le fait qu'une victime alléguée de Jutra a raconté l'enfer qu'elle a subi de l'âge de 6 à 16 ans ? Comment, après avoir lu ce témoignage crève-coeur, corroboré par d'autres sources, juger bon écrire une chronique hommage à Jutra où on en fait abstraction ? Comment encore, comme féministe, ne pas voir dans le drame trop longtemps enfoui de ce garçon devenu grand une triste parenté avec le drame des filles victimes d'agression sexuelle qui tentent elles aussi de défier le silence ?

Après le tollé suscité par cette chronique, on se serait attendu à ce que Mme Payette s'excuse ou rectifie le tir, comme a eu l'humilité de le faire le comédien Marc Béland sur le plateau de Tout le monde en parle. Il avait parlé trop vite, sous le coup de l'émotion, avant d'avoir en main assez de faits pour exprimer un point de vue éclairé. Il s'est excusé. Affaire classée.

Sans doute Mme Payette a-t-elle écrit trop vite, sans prendre connaissance de l'ensemble des faits mis à sa disposition, me suis-je d'abord dit. Après trois jours, j'ai dû me rendre à l'évidence.

Le problème, ce n'est pas que la chronique de Mme Payette a été écrite trop vite. Le problème, c'est que sa pensée a évolué trop lentement. Nous ne sommes plus en 1950. Personne ne reproche à Jutra son homosexualité.

Ce qui est révoltant, c'est que loin de s'excuser, Mme Payette a préféré en rajouter, deux fois plutôt qu'une. « Je crois que Claude Jutra était un homosexuel tourmenté comme on en fabriquait dans plein de collèges au Québec dans les années noires de 1940 à 1950. Ce procès qu'on lui fait a trente ans de retard », a-t-elle écrit dans sa première réplique, publiée samedi. Après une chronique hors-sujet, une réplique hors-sujet. Loin de défaire l'amalgame entre homosexualité et pédophilie dénoncé de toutes parts, Mme Payette juge bon y ajouter un peu plus de colle. À ceux qui lui demandaient en tout respect : « Mme Payette, le pensez-vous vraiment ? », sa première réplique ressemble à un « oui » consternant. Dans la deuxième réplique publiée lundi, elle tente de se reprendre : « Je vous rassure, je fais bien la différence entre l'homosexualité et la pédophilie. » On voudrait bien la croire. Mais c'est trop peu, trop tard. Car si elle fait bien la distinction, pourquoi ne pas l'avoir faite dans son texte ?

En plus de stigmatiser l'ensemble des homosexuels, les propos de Mme Payette nous renvoient une image manichéenne d'un féminisme qui oublie qu'il est d'abord et avant tout un humanisme. Son indifférence à l'égard des victimes alléguées de Claude Jutra rend son combat pour les droits des femmes bien peu convaincant.

Lors de son récent passage à Tout le monde en parle, Lise Payette nous conviait au premier Sommet des femmes, prévu les 3 et 4 mars. Ce sommet a été mis sur pied par un nouveau collectif féministe, dont Mme Payette est une des ambassadrices. Parmi la série d'ateliers au programme, deux ateliers portent sur les femmes et la violence. Durant l'émission, Mme Payette a vivement dénoncé l'exploitation sexuelle dont sont victimes des jeunes filles qui tombent sous l'emprise des gangs de rue. « Les viols, les violences, on ne tolérera plus ça bientôt », a-t-elle dit.

Mme Payette semble avoir beaucoup plus de mal à poser un regard aussi lucide sur la violence sexuelle quand les victimes sont des garçons.

Elle n'a accordé aucune crédibilité au premier témoignage de l'homme qui, sous le couvert de l'anonymat, a confié à La Presse avoir été agressé par Jutra alors qu'il n'était qu'un enfant. Tout en disant avoir horreur de la pédophilie, elle a balayé du revers de la main ce récit bouleversant, comme s'il ne valait rien. Comme si elle disait : « Un seul plaignant. Homme. Inconnu. Bof ! » Se serait-elle montrée aussi insensible si le témoignage avait été celui d'une femme agressée durant son enfance ?

Le témoignage à visage découvert, samedi, d'une deuxième victime alléguée - le scénariste Bernard Dansereau - ne semble pas avoir inspiré plus de compassion à Mme Payette. Pas un seul bon mot pour cet homme qui, avec courage et dignité, a pris la parole pour dire : « Claude était un pédophile ». Pourtant, au moment où le mouvement #AgressionNonDénoncée a été lancé, Mme Payette saluait le fait que « le mur du silence » soit enfin tombé. Elle écrivait que la libération des femmes passait par la destruction de ce mur. Elle se désolait même que le mouvement ne soit pas allé plus loin dans la dénonciation. « Pourquoi la plupart d'entre elles ont-elles choisi de taire le nom des hommes qu'elles dénoncent ? écrivait-elle. Pour ne pas mettre leur père, leur frère, le mari de leur soeur, leur voisin ou leur patron dans l'embarras ? »

Deux murs, deux mesures.