C'est l'histoire d'Amélie, 27 ans, qui veut devenir infirmière. Jeune femme engagée, qui aime étudier, elle avait été admise en sciences infirmières à l'Université de Montréal en 2013 après avoir obtenu un certificat en gérontologie. En parallèle, elle terminait aussi un certificat en gestion des services de santé. Son rêve ? Ouvrir un jour une résidence pour personnes âgées.

Le rêve s'est fissuré il y a un an jour pour jour. Amélie commençait ce jour-là un stage en périnatalité à l'hôpital de Saint-Eustache. Vers 11 h, elle a ressenti de violents maux de ventre qui la mèneront à l'urgence. Elle y est hospitalisée pour trois jours. Diagnostic : rupture de kyste. Pour ne pas prendre de retard durant son stage, elle a insisté pour qu'on lui apporte ses livres dans sa chambre d'hôpital.

Jamais Amélie n'aurait pensé que ses problèmes de santé, dont elle ignorait encore la cause et la gravité, la mèneraient à être exclue du programme de sciences infirmières. Jamais elle n'aurait pensé devenir l'héroïne d'un scénario kafkaïen qui l'entraînerait vers la dépression.

Après cette première hospitalisation, Amélie a tenté de poursuivre ses études comme si de rien n'était. Elle qui travaillait auprès de personnes âgées très malades se disait qu'elle n'allait quand même pas se plaindre de maux de ventre. Même si sa santé la préoccupait, même si elle avait encore des douleurs, elle voulait passer ses examens coûte que coûte, craignant de prendre du retard dans sa formation.

Trop orgueilleuse, Amélie ? Oui, elle l'admet. « J'ai été trop orgueilleuse pour dire : OK, j'ai besoin d'aide. J'ai surestimé mes capacités, je le reconnais. » Alors qu'elle avait eu B+ dans la production écrite de son stage en périnatalité et A-pour la participation, elle a échoué à l'examen final.

Un jour de février, elle est convoquée à un examen de reprise. Ses soucis de santé n'avaient pas disparu. Elle ne se sentait pas vraiment mieux. Elle passait des journées pliée en deux. Mais elle se disait : « Ai-je vraiment le choix ? De toute façon, je n'ai rien à perdre. » Erreur. Elle a échoué à l'examen de reprise.

Les problèmes de santé d'Amélie se sont accentués durant l'hiver. Les douleurs sont devenues si intenses qu'il lui a fallu être opérée d'urgence le 27 février. On lui a retiré trois kystes aux ovaires. Le diagnostic lui sera confirmé deux mois plus tard : endométriose pelvienne sévère avec rupture probable d'un endométriome. Un état qui entraîne des douleurs chroniques et qui peut être « assez incapacitant », note sa gynécologue.

Un jour de mars, Amélie reçoit une lettre de l'Université de Montréal qui lui dit qu'elle n'est plus autorisée à poursuivre ses études à la faculté des sciences infirmières. Le choc est immense. C'est le règlement, dit-on. Une étudiante qui échoue à la reprise d'un cours obligatoire est exclue du programme.

Amélie aurait dû demander de l'aide avant d'en arriver là. Elle aurait pu demander une suspension d'études. Elle le reconnaît. Mais elle était trop mal en point pour aller chercher de l'aide. Ses douleurs constantes et incontrôlées l'inquiétaient. Le diagnostic était incertain. Elle n'arrivait plus à se concentrer. Était-ce cancéreux ? Cela aurait-il un impact sur sa fertilité ?

Tout ceci n'est qu'un grand malentendu, se disait-elle. N'est-il pas injuste de recevoir une sanction définitive pour un problème de santé temporaire ? Ne serait-il pas possible de revoir la décision pour des motifs humanitaires, documents médicaux à l'appui ?

Au fil des mois, Amélie s'est enfoncée dans une spirale. Elle a sombré dans la dépression. Elle a multiplié les démarches pour pouvoir reprendre ses cours, dont une demande de révision au bureau de l'ombudsman et une demande de levée d'exclusion. Réponse de l'Université : désolé, on n'a fait qu'appliquer le règlement. La décision est sans appel.

Ce qui semble le plus étonnant, c'est que l'Université ait refusé de tenir compte de l'avis du médecin qui écrit dans une note de consultation : « Les derniers mois d'Amélie ont quand même été assez pénibles d'un point de vue de sa santé et je ne crois pas qu'elle doive payer de ses études cette problématique de santé. »

Pourquoi ne pas en avoir tenu compte ? « On en a tenu compte », me dit Johanne Goudreau, vice-doyenne aux études de premier cycle et à la formation continue à la faculté des sciences infirmières. « La lettre du médecin a été lue avec la lettre de l'étudiante. »

C'est pourtant impossible. La décision de l'Université de ne pas lever l'exclusion a été prise le 9 juin 2015. La note rédigée par le médecin date du 11 juillet 2015. Elle s'ajoutait aux informations sur l'état de santé d'Amélie déjà transmises dans la demande de levée d'exclusion. Quand Amélie a appelé l'Université pour dire qu'elle aimerait soumettre la note en question, on lui aurait dit que c'était peine perdue.

Lorsque l'Université évalue une demande de levée d'exclusion, elle tient compte du dossier universitaire de l'étudiant, de ses difficultés et du plan qu'il propose pour les surmonter, explique Mme Goudreau. « Il n'y a pas d'étudiants qui sont exclus pour des raisons de santé. Ils sont exclus parce qu'ils ont un échec », précise-t-elle.

Le hic ici, c'est que l'échec d'Amélie est intimement lié à ses problèmes de santé. « J'ai fait l'erreur d'être trop orgueilleuse et de me présenter à cet examen. Il me semble que je paye mon erreur très cher. »

Que peut-elle faire maintenant ? « Elle peut faire une nouvelle demande d'admission, dit Mme Goudreau. Le comité va réétudier son dossier. » Au nom de quelle logique un dossier justifiant une expulsion selon l'Université serait-il tout à coup jugé assez solide pour entraîner une admission ? J'avoue que j'ai un peu de mal à suivre... Ce serait comme un retour à la porte d'entrée de la maison des fous pour Amélie.

Déterminée à devenir infirmière, Amélie tente malgré tout de se sortir la tête de l'eau. À 27 ans, elle s'est retrouvée à cogner à la porte d'un cégep. Elle y a été acceptée sans problème. Mais on s'est demandé ce qu'elle faisait là avec tous ses diplômes et la moitié de ses cours universitaires déjà faits en sciences infirmières. Trop qualifiée pour le cégep. Pas assez selon l'Université, même si sa cote R lui permet d'aller à l'université. C'est d'ailleurs ce qu'on lui a recommandé de faire... Dernière porte à droite. Sauf qu'il n'y a pas de porte à droite.

Avant d'en arriver à ce scénario kafkaïen, l'Université aurait pu simplement lui dire : « Soigne-toi, chère Amélie. Quand tu iras mieux, viens reprendre ton cours. Et on n'en parle plus. »

Mais pourquoi faire simple ? La voilà donc qui s'avance au deuxième étage de la maison qui rend fou, cherchant une porte qui n'existe pas.