De la musique et des lumières. C'est ce qui était prévu à 21h20. Car 21h20, c'est l'heure à laquelle tout a basculé, le vendredi 13. Une heure noire. Devant le Stade de France, un kamikaze s'est fait exploser. C'était le début d'une nuit meurtrière à Paris.

Une semaine après les attentats, devant la salle de concert du Bataclan transformée en charnier le 13 novembre, des gens se sont recueillis en silence. Les visages crispés. Les yeux humides. Chacun semblait seul avec son trop-plein de tristesse. Même les policiers paraissaient émus. Devant moi, une passante a pris l'un d'eux dans ses bras, sans dire un mot, comme pour le consoler. Et elle a poursuivi son chemin.

Sur la marquise du Bataclan, le nom du groupe Eagles of Death Metal est toujours là, comme si le temps s'était arrêté un certain vendredi 13. Toute la semaine, des passants ont déposé des fleurs sur le trottoir pour rendre hommage aux victimes. Ils ont allumé des lampions. Ils ont pleuré. Accrochés à la clôture, des photos bouleversantes des victimes, jeunes pour la plupart. Des visages comme celui de Valeria Solesin, 28 ans. Parisienne d'origine vénitienne, doctorante à la Sorbonne. Elle était bénévole pour une ONG venant en aide aux clochards parisiens. Elle était au concert d'Eagles of Death Metal avec son fiancé. Elle avait la vie devant elle. Elle a été assassinée. Comme 129 autres victimes.

À côté de toutes ces photos qui vous arrachent le coeur, des mots de solidarité. Des poèmes. Des messages de paix et de résistance, d'amour et d'espoir. «Les terroristes ne tueront pas la liberté et la démocratie.» «Paris, je t'aime.»

Pour la troisième nuit de suite, Lionel Nogent était là avec son piano qu'il a mis à la disposition des passants. Ce prof de tai-chi de 49 ans, résidant du 11e arrondissement, a décidé sur un coup de tête, mercredi, de tenter d'alléger l'atmosphère devant le Bataclan. Avec des amis, il a déménagé son propre piano devant la salle de concert. «On l'a poussé dans la rue, à la main.» On aurait dit que les gens n'attendaient que ça. «C'est comme si on avait enlevé un bouchon, que l'on avait libéré quelque chose. Ils veulent la guerre? Alors nous, on amène la musique qui réunit.»

Pour marquer le coup, une semaine après les attentats, des personnalités du monde culturel, dont Charles Aznavour et Jack Lang, avaient donc appelé à faire «du bruit et de la lumière» à 21h20. «Pour qu'ils comprennent qu'ils ont perdu.»

À 21h20, sous un ciel voilé, la foule réunie s'est mise à applaudir de toutes ses forces. Comme pour dire haut et fort: «Paris, je t'aime.» Comme pour répéter aux assassins: «Même pas peur.» À mes côtés, il y avait Marie, 26 ans. Elle était là avec sa mère et son copain. Parce qu'il le faut, dit-elle. Parce que c'est important. «La société est choquée. Mais elle veut avancer. Et pour avancer, il faut se souvenir, se recueillir.»

Après les applaudissements, il y a eu La Marseillaise. Puis, très vite, la foule s'est dispersée.

Si bien des Parisiens, traumatisés par les attentats du 13 novembre, ont préféré rester chez eux hier soir, nombreux aussi étaient ceux qui n'entendaient pas changer leurs habitudes. Des gens comme François, 37 ans, qui est retourné dans le bar du 10e où il était, la nuit des attentats. Ce soir-là, il l'a échappé belle. À 21h25, il devait passer avec un copain devant Le Carillon pour aller rejoindre des amis quand il s'est arrêté en route pour une pause pipi au bar Le Chahut. Arrivé près du Carillon, un des bars attaqués par les terroristes, il a entendu des coups de feu et senti une odeur âcre. «Ne restez pas là, il y a une fusillade», lui a dit un passant. Le lendemain, son ami lui a écrit: «C'est ton pipi au Chahut qui nous a sauvés.»

«La plus belle réponse à apporter aux terroristes qui cherchent à diviser notre communauté est de leur montrer le visage d'une France unie.» C'est Samuel Grzybowski du collectif #NousSommesUnis, né au lendemain des attentats, qui tient à le rappeler. Ce qui complique les choses, c'est que jusqu'à dimanche, les grands rassemblements sont interdits à Paris. «Nous ne pouvons pas nous rassembler dans la rue, alors rassemblons-nous chez nous: en ouvrant la porte de nos foyers pour partager un café ou un thé avec nos voisins», proposait le collectif.

Plutôt que de se contenter de café ou de thé, Juliette y est allée hier soir pour du beaujolais nouveau, à l'invitation de son voisin. Juliette est cette amie du 11e dont je vous parlais hier. L'été dernier, nous avions en quelque sorte échangé nos vies. Sa famille et elle rêvaient de vivre comme des Montréalais. Nous rêvions de vivre comme des Parisiens. Ils nous ont prêté «leur» 11e, sa jeunesse, ses bobos, ses Juifs et ses Arabes. On leur a prêté «notre» Mile End, son bric-à-brac, ses bagels, ses hipsters et ses hassidim.

Le soir des attentats, quand j'ai vu passer avec effroi les premières dépêches évoquant un attentat dans le 11e, j'ai d'abord pensé à eux. C'était leur Paris devenu le mien que l'on attaquait. Un Paris tolérant et cosmopolite. Un Paris qui lit, qui vit, qui rit. Un Paris qui trinque. Le Paris que j'aime.

«Ce n'est pas un hasard s'ils ont ciblé ce quartier. Il y a ici un certain art de vivre. Un vivre-ensemble qui fonctionne bien. Une grande liberté dans la façon de vivre. C'est un peu comme s'ils avaient attaqué le Mile End», m'a dit Juliette en marchant, rue Bichat, vers Le Carillon, où elle avait ses habitudes.

Le Carillon incarne cet art de vivre et ce vivre-ensemble. «Ici des personnes de toutes origines et de toutes confessions sont tombées sous les balles de la secte barbare Daesh», dit une affiche collée sur la vitrine du bar transformée en mémorial.

Une semaine plus tard, les balafres laissées par les balles dans la vitrine sont toujours là. Mais quelqu'un a eu la bonne idée d'y placer des roses.