Il devait être 4 h 20 quand Fares s'est mis à crier. « Maman ! Maman ! La guerre commence ! Il y a des bombes ! »

Fares a 7 ans. De grands yeux noisette dans lesquels on lit l'effroi. « Il ne sait même pas c'est quoi, la guerre », me dit sa mère Souhila, 38 ans.

Souhila, elle, sait. Elle est née en Algérie. « J'ai vécu ça dans ma jeunesse. »

« Tu dors par terre », a dit la mère à son fils. Elle a donné la même consigne à Mélissa, 5 ans, et à Mehdi, 2 ans et demi. « On ne sait jamais avec les balles perdues... »

Toute la famille s'est couchée à même le sol. En attendant que la « guerre » passe.

« On a quitté l'Algérie pour avoir la paix et la liberté. On n'a jamais pensé que l'on vivrait ça en France », me dit Souhila, les traits tirés.

J'étais dans l'avion quand l'assaut antiterroriste a été donné à Saint-Denis, dans la banlieue nord de Paris, non loin du Stade de France. Dès que l'avion s'est posé, des cellulaires de passagers ont sonné. « C'est la pagaille à Saint-Denis. »

La « pagaille », le mot est faible. C'est Fares qui avait raison. Ça ressemblait plus à une guerre. Rue du Corbillon, à l'angle de la rue de la République, au moins deux personnes ont été tuées, dont une femme kamikaze qui a activé sa ceinture d'explosifs. Un commando, lourdement armé, qui semblait prêt à passer à l'acte, a été démantelé.

Pendant une heure, les habitants du quartier ont entendu des tirs nourris. Le bruit était si fort que certains ont cru qu'il y avait un bombardement.

Il y a eu au moins 5000 munitions tirées par la police. Un immeuble éventré, criblé de balles. Des voisins terrorisés. Comme si on était à Gaza et non en banlieue parisienne.

L'assaut a duré sept heures durant lesquelles le quartier a été bouclé, le métro, fermé, les écoles aussi. Des résidants ont été évacués. Les riverains ont été sommés de ne pas sortir de chez eux.

Une fois l'assaut terminé, j'ai pu prendre le métro pour la guerre.

« Comment je me rends à la station Basilique de Saint-Denis ? »

La dame du métro a pensé que j'étais une touriste un peu fêlée.

« Il vaut mieux ne pas y aller ! C'est dangereux. Ils pourraient boucler le secteur à tout moment. »

Plus la station approchait, moins il y avait de monde dans le wagon. En sortant du métro, j'ai eu l'impression d'arriver sur un plateau de cinéma planté au beau milieu d'un quartier populaire. Le soleil illuminait d'une douce lumière la façade de la basilique de Saint-Denis. Des dizaines de caméras postées devant des journalistes d'ici et d'ailleurs faisant leur topo pour les chaînes d'information continue. Quelques curieux qui commençaient à s'aventurer dehors. Des enfants anxieux qui tenaient la main de leur mère. Un contingent de policiers devant la mairie, sous une banderole géante où on avait inscrit ces mots : « La meilleure réponse à la barbarie, c'est de faire face ensemble ».

« C'est du jamais vu ici », m'a dit Laurent Russier, maire adjoint de la ville de Saint-Denis. Il était soulagé par la tournure des événements. Aux aurores, des citoyens tirés du lit par des coups de feu ont été envoyés à la mairie. Certains y sont arrivés en pyjama. Une cellule d'aide psychologique a été mise sur pied pour les accueillir. « Les gens ont tous été très dignes. »

Si certains intellectuels n'hésitent pas à considérer Saint-Denis comme un dangereux foyer de l'islamisme en France, Laurent Russier n'est pas de cet avis. « Saint-Denis est une ville très cosmopolite et populaire où la crise frappe dur. Il y a un peu de trafic de drogue et de la délinquance. Mais ce n'est pas reconnu comme une ville de radicalisation. Il ne faut pas faire l'amalgame entre les deux sujets. » Saint-Denis n'est pas la Belgique qui fournit allègrement la filière djihadiste de Daesh. Les gens visés par l'assaut avaient sous-loué un appartement à Saint-Denis depuis très peu de temps, précise-t-il.

Chose certaine, l'inquiétude est bien réelle. « J'ai peur pour mes enfants. La France, c'est un pays de liberté. Et on se trouve en pleine fusillade. C'est la guerre ! », me dit Fatima Tarchaoui, venue prendre l'air après une journée de grand stress.

Certains croient que les citoyens musulmans devraient condamner haut et fort les attentats et le détournement que l'on fait de leur religion. Fatima Amda est de cet avis. 

«  Je suis musulmane pratiquante et je suis ouverte. La religion ne dit pas de tirer sur les gens ! » 

Les gens de sa mosquée, elle les connaît bien, dit-elle. Ce ne sont en rien des radicaux.

À ses côtés, sa fille Chaineze, 10 ans. Cheveux bouclés ramassés en chignon, yeux bruns emplis d'inquiétude. Elle a eu très peur hier matin. Elle peine à en parler. « Tout ça m'a troublée », dit-elle, d'une voix timide.

En début de semaine, on a demandé aux élèves de l'école de Chaineze de dessiner leurs espoirs. La fillette a dessiné la tour Eiffel et le drapeau de la France avec un signe de paix. « J'ai écrit : "La France ne tombera pas. Elle vaincra." »

Une phrase qui fait écho à la devise en latin de Paris devenue un slogan au lendemain des attentats. Sur les murs et les panneaux de la Ville Lumière, la locution Fluctuat nec mergitur a été érigée en devise antiterroriste. Traduction libre : « Qui tangue mais qui ne sombre pas ».

Hier, malgré son visage meurtri, Paris se jurait encore de demeurer fidèle à sa devise. Prochaine station, la paix. Quitte à devoir attendre le métro un peu plus longtemps.

Photo Thomas Samson, Agence France-Presse

Des soldats français patrouillent à Saint-Denis, en banlieue de Paris, pendant un assaut antiterroriste durant lequel au moins deux personnes ont été tuées, dont une femme kamikaze qui a activé sa ceinture d’explosifs.