Ils ne pourront pas s'intégrer. C'est ce qu'on a dit, dès la fin du XIXe siècle, chaque fois qu'une vague de nouveaux arrivants débarquait en Amérique. Irlandais, Italiens, Juifs d'Europe de l'Est... Tous étaient dépeints comme une «menace». Tous étaient considérés comme trop éloignés de «notre» civilisation pour s'y fondre. Chaque immigré trouvait que celui qui le suivait n'était pas assez bien pour s'intégrer.

Saviez-vous qu'au tournant des années 50, les Américains craignaient une invasion non pas musulmane, mais catholique? Dans un livre que l'on s'arrachait à l'époque, American Freedom and Catholic Power, l'avocat Paul Blanshard sonnait l'alarme: un flux d'immigrants catholiques menaçait gravement la démocratie et les valeurs américaines.

Selon Blanshard, la criminalité, la violence et le terrorisme étaient intrinsèques au catholicisme. Quant aux bonnes soeurs portant un voile noir, il les considérait comme des extrémistes religieuses, symboles d'un asservissement de la femme. Et si ces «dangereux» catholiques prenaient les commandes de l'Amérique?

Ce discours, loin d'être marginal, était applaudi à l'époque par bien des gens tout à fait respectables. Des gens aussi brillants qu'Albert Einstein en ont même fait l'éloge.

Il a fallu l'élection en 1961 d'un premier président catholique - John F. Kennedy - pour apaiser l'hystérie anticatholique et pour qu'on se rende compte que les catholiques américains, sans être parfaits, n'étaient peut-être finalement pas les dangereux envahisseurs que l'on imaginait.

Plus ça change, plus c'est pareil. Hier, on craignait les catholiques et les juifs. Aujourd'hui, on craint les musulmans qui feraient semblant d'être des réfugiés syriens pour venir saper les fondements de la civilisation occidentale. On n'invente rien. On recycle les mêmes peurs et les mêmes préjugés. On est toujours l'étranger de quelqu'un d'autre.

Alors que des voix de plus en plus nombreuses pressent le Canada d'en faire plus pour venir en aide aux Syriens fuyant la guerre civile dans leur pays, de nombreuses idées reçues, semblables à celles qui étaient en vogue dans l'Amérique des années 50, circulent au sujet de la crise migratoire. En voici quatre qui semblent avoir la cote:

Idée reçue no 1: Ils vont nous envahir

Le mythe de l'invasion musulmane est très populaire en Occident. La thèse a gagné des adeptes avec la publication aux États-Unis, en 2005, du livre Eurabia. On y explique comment la civilisation arabo-musulmane, après avoir «gangrené» l'Europe, en fera la conquête.

Aussi fumeux soit-il, l'essai a connu un succès fracassant. Il est devenu un best-seller, traduit dans plusieurs langues, particulièrement apprécié par l'extrême droite européenne.

À force d'être répétées, des faussetés sont prises pour des faits. Le fait est que l'on est très, très loin de «l'invasion». Si la tendance se maintient, les musulmans constitueront 8% de la population d'Europe en 2030, selon les données du Pew Research Center. Même si le nombre de réfugiés qui gagnent l'Europe peut sembler élevé, il constitue moins de 1% de la population du continent.

Et en Amérique? Aux États-Unis, les musulmans représentent moins de 1% de la population. Au Canada, c'est 3%.

Idée reçue no 2: Le Canada est un pays généreux qui en fait déjà plus que n'importe quel autre pays

Le Canada a déjà été un pays reconnu pour sa tradition d'accueil et de pacification dans le monde, c'est vrai. Ce n'est plus le cas. De 2008 à 2013, au palmarès des pays industrialisés qui reçoivent le plus de demandes d'asile, le Canada est passé du peloton de tête au 16e rang, une baisse attribuée aux réformes conservatrices des politiques d'accueil. Avec 420 réfugiés par 100 000 habitants, le Canada se classe au 41e rang des pays d'accueil pour les demandeurs d'asile, selon les données du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR).

La timide réponse du Canada devant le drame syrien n'est qu'un symptôme de plus du rôle de plus en plus mineur qu'il joue sur la scène internationale. Il n'est plus le chef de file qu'il était autrefois.

Idée reçue no 3: Les pays musulmans ne font rien

En regardant les nouvelles, on peut avoir l'impression que la majorité des demandeurs d'asile syriens se sont précipités vers l'Europe. Le fait est que cinq pays accueillent à eux seuls 95% des réfugiés syriens: la Turquie, le Liban, la Jordanie, l'Irak et l'Égypte. Il est vrai que les pétromonarchies du Golfe, tout en lançant des appels à soutenir le peuple syrien, n'ont pas levé le petit doigt pour accueillir un seul réfugié. C'est pitoyable, on est bien d'accord. Mais cela ne change rien au fait que le rôle que joue l'Occident pour venir en aide à une population en danger demeure dérisoire.

Idée reçue no 4: Les chrétiens et les autres minorités de Syrie sont les seuls «vrais» réfugiés. Les autres sont, jusqu'à preuve du contraire, des terroristes potentiels.

C'est ce que laisse entendre le gouvernement Harper en accordant la priorité aux minorités religieuses et ethniques de Syrie, qui, selon lui, sont les plus susceptibles d'être de «vrais» réfugiés.

Ces critères de sélection sont discriminatoires, comme le rappelait cette semaine l'Association québécoise des avocats en droit de l'immigration. La discrimination basée sur la religion est interdite au Canada. Que le premier ministre décide qu'elle est officiellement souhaitable est pour le moins honteux.

Depuis octobre 2013, l'agence des Nations unies pour les réfugiés considère comme des réfugiés la quasi-totalité des Syriens qui quittent le pays, tous groupes religieux confondus. Sont évidemment exclus d'emblée de la catégorie «réfugiés» ceux qui ont commis des attaques, des viols ou des prises d'otage.

Les bombes ne font pas de discrimination. Quand elles explosent, elles ne s'enquièrent pas des croyances de ceux qu'elles tuent.