Quand j'ai vu qu'un groupuscule d'extrême droite crachant sa haine des musulmans prévoyait une manifestation samedi à Montréal, j'ai espéré que ce soit une mauvaise plaisanterie. Au pire, deux gars dans leur sous-sol en manque d'attention...

Il semble malheureusement que non. Le groupuscule PEGIDA Québec est un vrai groupuscule constitué de vrais racistes. Ce serait la nouvelle branche québécoise du mouvement allemand du même nom («Patriotes européens contre l'islamisation de l'Occident»). Un mouvement islamophobe né l'automne dernier qui réunit des militants anti-immigration et des néonazis disant vouloir défendre la démocratie occidentale menacée par une prétendue «islamisation» de nos sociétés.

En octobre, lors de sa première manifestation à Dresde, en ex-Allemagne de l'Est, PEGIDA ne réunissait que quelques centaines de personnes. En janvier, après les attentats terroristes à Paris, le mouvement a réussi à attirer 25 000 personnes, réunies ironiquement sous le slogan «Nous sommes le peuple!» - le slogan de ceux qui ont fait tomber le mur de Berlin en 1989. Sauf qu'il ne s'agissait plus ici de faire tomber un mur, mais bien d'en ériger un. Mur de haine pour empêcher des étrangers de venir «diluer» la culture chrétienne allemande...

Depuis cette inquiétante foule record du 12 janvier, PEGIDA, vivement dénoncé par la chancelière Angela Merkel, a souffert de quelques divisions en son sein - son leader a démissionné fin janvier après la publication d'une photo le montrant déguisé en Adolf Hitler et la diffusion de propos xénophobes sur les réfugiés. Mais sa popularité continue de susciter de vives inquiétudes.

Chez nous, où PEGIDA tente maintenant de s'implanter, quelques voix inquiètes se sont élevées pour dénoncer son discours haineux. Mardi, à l'Assemblée nationale, les parlementaires ont adopté à l'unanimité une motion pour manifester leur «profonde préoccupation» à l'égard de PEGIDA Québec. Avec raison. En choisissant le Petit Maghreb comme lieu de sa manifestation antimusulmane, le groupuscule mise clairement sur la provocation. Même s'il se dit non islamophobe, sa propagande qui stigmatise toute une population témoigne du contraire. On est loin ici d'un débat légitime sur la laïcité ou d'un combat nécessaire contre l'extrémisme. Le discours de PEGIDA est haineux, point à la ligne. En prétendant s'élever contre l'intégrisme islamiste, il ne fait que montrer comment un extrême en appelle un autre.

Faudrait-il interdire de tels discours? Dans une lettre publiée dans Le Devoir, lundi, Françoise David soulignait le fait qu'il semble y avoir une politique de «deux poids, deux mesures» en la matière. «Si la Ville de Montréal a pu refuser à l'imam Chaoui l'ouverture d'un local pour prêcher l'intolérance envers les femmes, pourquoi PEGIDA aurait-il la permission de manifester un samedi après-midi, de manière provocante, au coeur du Petit Maghreb?»

Qu'ils soient signés Chaoui ou PEGIDA, qu'ils soient portés par des islamistes ou des islamophobes, les discours haineux ne devraient jamais être banalisés. Il est souhaitable que nos leaders politiques les dénoncent avec vigueur. Cela dit, à mon sens, le meilleur antidote à ce genre de discours n'est pas la censure, mais «encore plus de démocratie», comme le propose la co-porte-parole de Québec solidaire, en citant les mots inspirants du maire d'Oslo, au lendemain de la tuerie de 2011 en Norvège, perpétrée par un intégriste antimusulman d'extrême droite.

Un autre très bon antidote à la haine et à la peur est la rencontre. Ça tombe bien, samedi, le jour même où est prévue la manifestation de PEGIDA à Montréal, le Centre justice et foi organise une bibliothèque humaine permettant à des lecteurs «d'emprunter» un citoyen musulman comme on emprunterait un livre (*).

La bibliothèque humaine est un concept génial né au Danemark il y a une quinzaine d'années. En favorisant le dialogue avec un étranger, elle permet de façon originale et sympathique de déconstruire les préjugés que nous entretenons les uns envers les autres. On ne peut juger un livre à sa couverture. C'est pareil pour les gens. Les lecteurs qui s'aventurent dans la bibliothèque humaine sont invités à prendre connaissance de l'histoire de la personne qu'ils «empruntent» avant de la juger.

Au moins quatre «livres» humains seront disponibles au comptoir du prêt aménagé au Gésù, dès 14h, samedi, en marge de l'exposition QuébécoisEs, musulmanEs... et après? , qui veut casser les stéréotypes sur le sujet. Il y aura Nadjet Bouda, féministe d'origine algérienne, qui pourrait vous parler de ce que c'est que de militer pour le droit des femmes tout en maintenant son identité musulmane. Il y aura Eve Torres, d'origine française, convertie à l'islam et portant le voile, qui pourrait vous raconter comment l'organisme qu'elle dirige, LaVOIEdesFemmes, tente d'amener des femmes issues de communautés musulmanes à s'impliquer au sein de la société québécoise. Il y aura Yamina Tahmi, d'origine algérienne, médecin dans son pays d'origine, qui peut vous parler des défis de l'immigration. Il y aura aussi mon ancien collègue Jooneed Jeeroburkhan, originaire de l'île Maurice, qui pourra raconter son expérience de journaliste dans un Québec des années 60 et 70 où l'islam était un sujet inconnu de la majorité.

Quatre «livres» fort différents les uns des autres dans une bibliothèque humaine offrant un essentiel contrepoids à tous les cracheurs de haine.