En blâmant les immigrants pour l'échec du projet indépendantiste, Pierre Karl Péladeau a fait la même erreur que Jacques Parizeau, en 1995, avec sa déclaration malheureuse sur l'argent et les votes ethniques.

Et dire que cet homme est considéré par plusieurs comme le sauveur d'un parti à la dérive, miné par son virage identitaire. Avec un sauveur comme ça, pas besoin de fossoyeurs...

Vingt ans après la gaffe de Parizeau, on aurait pu penser que tous ses successeurs au Parti québécois avaient pris des notes et tiré des leçons de ce discours amer qui a coûté si cher au parti.

Après avoir été critiqué de toutes parts, hier, Pierre Karl Péladeau a fini par publier des excuses sur sa page Facebook pour sa «malheureuse phrase». «Avec la démographie, avec l'immigration, c'est certain qu'on perd un comté à chaque année», avait-il dit mercredi soir, avant d'être rabroué sur-le-champ par ses adversaires dans la course à la direction du PQ. Une phrase «inappropriée» qui ne reflète pas sa pensée, a écrit M. Péladeau en fin d'après-midi hier. Le hic, c'est qu'en début de journée, la même phrase «inappropriée» lui semblait tout à fait appropriée.

J'en entends plusieurs dire: «Péladeau n'avait pas à s'excuser. Il a juste énoncé une évidence! Les néo-Québécois n'ont jamais voté pour le PQ!»

Se pourrait-il que cette «évidence» soit constituée en partie de vieilles idées reçues que l'on ne se donne même plus la peine de remettre en question? Nous ne sommes plus en 1995. De Parizeau à Péladeau, 20 ans ont passé. Deux ou trois choses ont quand même changé au Québec. Ceux qu'on appelle encore les «néo-Québécois» - combien d'années faut-il pour se débarrasser du préfixe «néo» ? - parlent de plus en plus français et s'intègrent plutôt bien, quoi qu'on en dise. Des études nous disent par ailleurs que les enfants d'immigrants ne se comportent pas différemment des autres Québécois quand vient le temps de voter. Jacques Parizeau ne l'avait-il pas reconnu lui-même, lors de la campagne électorale de 2003, en portant à notre attention des chiffres selon lesquels les enfants de la loi 101 sont aussi divisés que les autres sur la question référendaire?

L'autre chose qui a changé depuis 20 ans, c'est que la souveraineté n'est plus aussi attrayante pour les jeunes qu'elle l'a déjà été. Depuis l'an 2000, elle est en constant déclin chez les jeunes francophones. Le projet d'une seule génération? Non. C'est le projet de deux générations: les baby-boomers et la génération X. Et ce qui ressort des sondages des 35 dernières années analysés par la sociologue Claire Durand, c'est que les jeunes ont abandonné le PQ encore plus que la souveraineté.

Au lieu de trouver des boucs émissaires venus de l'étranger, il faudrait peut-être essayer de comprendre les raisons de cette désertion. Se pourrait-il qu'une jeune génération ouverte sur le monde ne veuille pas de ce «Nous» exclusif mis de l'avant par le PQ? Se pourrait-il qu'elle ne se reconnaisse pas du tout dans la position de repli identitaire qu'incarnait son projet de charte de la laïcité?

Se pourrait-il qu'elle ne se reconnaisse pas dans son virage nationaliste conservateur? Se pourrait-il qu'elle se dise que l'indépendance du Québec, si elle se réalise un jour, ne se fera pas «contre» les minorités, mais bien avec elles? Se pourrait-il qu'elle puisse vouloir un pays, mais certainement pas un repli?

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Cela dit, même si Péladeau avait dit vrai... Même si rien n'avait changé depuis 20 ans... Même s'il n'avait fait qu'énoncer une évidence sur le vote immigrant, il a quand même commis une erreur stratégique, car son rôle comme aspirant leader d'un parti en reconstruction est de porter un message rassembleur. Pas d'accentuer la fracture entre «Nous» et les «Autres». Pas de dire à demi-mot: «Vous, immigrants, citoyens et citoyennes de seconde zone, c'est à cause de vous si on n'a pas de pays. Mais rassurez-vous, on a un plan: on va se dépêcher de faire un référendum avant que d'autres gens comme vous nous fassent perdre!»

«C'est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs plus étroites appartenances, et c'est notre regard aussi qui peut les libérer», écrivait Amin Maalouf dans Les identités meurtrières. Considérer les immigrants au Québec comme une nuisance ou un obstacle à l'épanouissement national n'est pas la meilleure façon de les convaincre que cette cause pourrait être aussi la leur.