Des Québécois musulmans se disent inquiets par l'instrumentalisation politique dont ils font les frais. Avec le projet de loi C-51, qui veut nous faire croire qu'il faudrait désormais choisir entre liberté et sécurité, je pense que nous devrions tous, musulmans ou pas, être beaucoup plus inquiets.

Les sondages récents nous disent qu'une écrasante majorité de Canadiens appuient le projet de loi antiterroriste du gouvernement Harper. Autrefois moins enclins à appuyer des politiques sur «la loi et l'ordre», les Québécois ne semblent plus se distinguer du reste du pays à cet égard. Les attentats d'Ottawa, de Saint-Jean-sur-Richelieu et de Paris ont créé une véritable psychose qui ouvre la voie aux politiques de peur. Dans ce climat, le musulman est jugé suspect, quoi qu'il fasse. S'il se tait, c'est louche. S'il parle, c'est louche. S'il prie, n'en parlons pas. S'il demande un changement de zonage pour ériger une mosquée dans le parc industriel de Shawinigan, c'est la panique. Mais ne vous y méprenez pas. On est tous Charlie. On n'a rien contre le musulman, bien sûr. À condition qu'il soit athée, invisible et muet.

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Je disais qu'une écrasante majorité de Canadiens appuient le projet de loi antiterrorisme du gouvernement Harper qui donnerait des pouvoirs accrus aux services de renseignement et à la police. Quatre personnes sur cinq (82%), selon un sondage de l'Institut Angus Reid. En contrepartie, à peine une personne sur cinq (19%) s'inquiète des conséquences du projet de loi sur nos libertés et notre droit à la vie privée. Si peu d'inquiétude m'inquiète.

Cette semaine, de nombreuses voix, incluant celles de quatre ex-premiers ministres, de cinq anciens juges de la Cour suprême et de plusieurs experts, nous ont mis en garde contre les abus auxquels pourrait mener le projet de loi C-51. La liberté et la sécurité peuvent aller de pair. Mais «il a été démontré que d'importantes violations de droits de la personne peuvent être commises au nom de la sécurité nationale», rappelait dans une lettre ouverte une vingtaine de personnalités, dont l'ex-juge de la Cour suprême Louise Arbour et l'ex-ministre de la Justice Irwin Cotler. Les conséquences peuvent être dévastatrices pour des citoyens tout à fait innocents, ont-ils souligné. On l'a vu dans l'affaire Maher Arar.

Il ne s'agit pas de minimiser l'importance de la lutte au terrorisme. Il s'agit simplement de s'assurer que cette lutte soit vraiment efficace et ne serve en aucun cas de paravent à des abus de pouvoir. Vu la nature secrète des activités de sécurité nationale, comment surveiller ceux qui nous surveillent? Comment s'assurer qu'ils protègent bien le public, et pas seulement le gouvernement au pouvoir? Comment mesurer l'efficacité et la légalité de leur travail? Si on veut y arriver, n'est-il pas essentiel de mettre en place un mécanisme d'examen complet des agences de renseignement?

Ces questions et bien d'autres méritent d'être étudiées à fond avant de donner le feu vert au projet de loi C-51. Mais qui s'en soucie?

Pour justifier son projet de loi, le premier ministre Stephen Harper dit que nous vivons dans un monde «de plus en plus dangereux». «Et parce que nous sommes moins en sécurité, nous devons prendre ces mesures tant ici qu'à l'étranger.»

Moins en sécurité? Pourtant, selon Statistique Canada, le pays n'a jamais été aussi sécuritaire. Les homicides sont à leur plus bas niveau depuis 1966. Qu'importe. La psychose du moment fait en sorte que l'on a tendance à tout accepter sans poser de questions. Au nom du délire sécuritaire, on est prêt à se faire confisquer quelques-uns de nos droits. Loin de s'en offusquer, beaucoup en redemandent. Selon le même sondage Angus Reid cité plus haut, 36% des Canadiens considèrent que le projet de loi C-51, jugé excessif par de nombreux experts, ne va pas assez loin. Se faire confisquer des droits ne les inquiète guère. Ils sont même prêts à se rendre par eux-mêmes au bureau de confiscation...

Qu'est-ce qu'il disait, Machiavel, déjà? «Celui qui contrôle la peur des gens devient maître de leurs âmes.»