Dans le salon baigné de soleil, Renée Martel chantait Noël à tue-tête, comme si personne ne l'avait avertie que nous étions en janvier. Benjamin, 10 ans, sourire espiègle, sautait dans l'escalier, à corps perdu.

«J'espère que vous aimez Renée Martel! m'a lancé Sophie. C'est le disque préféré de Benjamin. Chez nous, c'est Noël toute l'année!»

Sophie a souri comme on sourit parfois pour ne pas pleurer. Car depuis le 8 décembre, elle nage en pleine catastrophe. Son fils Benjamin, autiste non verbal avec une déficience intellectuelle, a été suspendu de l'école spécialisée qu'il fréquentait depuis quatre ans. Trop agressif, dit-on. Même avec un ratio d'un pour un, avec le soutien d'une ergothérapeute, d'une psychologue, d'une orthophoniste, d'une éducatrice spécialisée, même avec une salle multisensorielle Snoezelen, une piscine et une salle de motricité, l'école n'y arrive pas. D'où la question: si elle n'y arrive pas, qui d'autre peut y arriver?

Du jour au lendemain, la famille de Benjamin, déjà fragilisée, s'est retrouvée sans ressource et encore plus fragile. Sophie, qui est policière au SPVM, est en arrêt de travail. Si rien n'est fait, elle devra abandonner son emploi.

Comme solution de rechange, l'école propose la scolarisation à la maison à raison d'une heure par jour. Ce qui ne donnerait même pas le temps à la mère, qui habite Otterburn Park, en Montérégie, de se rendre au travail.

Pour pouvoir souffler un peu, Sophie a fait appel à la maison de répit l'Intermède, à Beloeil, que Benjamin fréquente régulièrement depuis 2008. En général, ses journées s'y passent bien. S'il peut avoir quelquefois des comportements agressifs (grafigner, pincer, agripper), jamais ces gestes n'ont mis sa vie ou celle des autres en danger, souligne Marie Houle, la directrice. «Nous avons trouvé quelques moyens qui aident présentement Benjamin lors des transitions et diminuent de façon remarquable ses comportements d'agression. Nous utilisons également l'aide des spécialistes.»

Grâce à ce précieux service de répit qui coûte 15$ l'heure, la famille «survit», comme le dit Sophie. Sauf que ce service de dépannage ne peut en aucun cas se substituer à l'école.

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C'est l'histoire de Benjamin, 10 ans, autiste, sans école. Mais c'est aussi l'histoire d'un trop grand nombre d'enfants handicapés exclus d'écoles spécialisées, s'inquiète Gilles Bélanger, chef de service du soutien à la personne de l'Office des personnes handicapées du Québec (OPHQ). Depuis deux ans, l'OPHQ reçoit de plus en plus d'appels de parents dont les enfants vivent des situations semblables, me dit-il. Parfois, il s'agit d'enfants qui n'ont que 5 ou 6 ans.

«Normalement, les écoles spécialisées devraient être encore mieux adaptées pour offrir des services à ces enfants. Mais on constate que de plus en plus d'enfants en sont retirés.»

Cela soulève bien des questions. D'autant plus que, selon la Loi sur l'instruction publique, toute personne handicapée a le droit d'être scolarisée jusqu'à 21 ans. Pour exclure un élève, il faut faire la preuve d'une «contrainte excessive» pour l'école.

«Si l'école spécialisée les suspend, c'est quoi après?», demande Electra Dalamagas, d'Autisme Montréal. C'est comme si on disait à l'enfant: «Tu peux être autiste, mais pas trop...» Comme si on s'attendait à ce que ce soit lui qui s'adapte au moule de l'école. «C'est un énorme problème. On demande au ministère de l'Éducation un autre volet de services dans les écoles pour les enfants autistes qui ont davantage de troubles de comportement. L'enfant a le droit d'être scolarisé. S'il y a des problèmes à l'école, il faut les traiter à l'école. En le renvoyant à la maison, on n'accomplit pas grand-chose.»

Pour Jo-Ann Lauzon, présidente de la Fédération québécoise de l'autisme, qui a suivi de près les déboires de Sophie et de plusieurs autres familles aux prises avec le même problème, cette situation est inadmissible. «Je trouve cela épouvantable. C'est une école spécialisée. On est supposé y trouver des spécialistes. Et on n'y est pas capable de s'occuper de nos enfants autistes!»

Si l'enfant a vraiment de graves problèmes, comment se fait-il que les parents soient capables d'y arriver? Comment se fait-il encore qu'un organisme communautaire offrant du répit, qui est loin de disposer des moyens d'une école spécialisée, puisse réussir là où l'école échoue?

J'aurais aimé entendre à ce sujet le directeur de l'école René Saint-Pierre - l'école de Saint-Hyacinthe fréquentée par Benjamin. Malheureusement, même si les parents de Benjamin l'ont autorisé à parler publiquement du dossier de leur fils, il a refusé de répondre à mes questions, invoquant la confidentialité du dossier.

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Sophie n'est pas fâchée contre l'enseignante de Benjamin - une femme qui a fait un travail extraordinaire, dit-elle. Mais elle est fâchée contre le système, qui ne lui donne pas assez de soutien.

Elle sait à quel point il peut être essoufflant de prendre soin de Benjamin. «Cet essoufflement, je le comprends», dit-elle. Elle le comprend parce que c'est sa vie depuis 10 ans. Une vie sans sommeil, avec un enfant aussi attachant qu'exigeant. Car malgré ses airs d'adolescent fougueux, Benjamin a un âge mental de 18 mois. Il n'a pas conscience du danger ni du froid. Il a toujours besoin de bouger. Elle l'appelle son «Mowgli d'amour» parce qu'il saute sans cesse comme un homme de la jungle. Il exige une surveillance de tous les instants.

«J'ai dit à l'école que je comprenais leur désespoir parce que je l'ai vécu.»

En 2009, Benjamin a dû être hospitalisé pendant sept semaines à l'hôpital Rivière-des-Prairies parce qu'il était trop agressif, tant à la maison qu'à l'école. Quand un jour, il a foncé vers son grand frère en tentant de l'agripper, Sophie s'est dit que c'en était trop. «À contrecoeur, je suis allée le conduire à l'hôpital pour qu'ils puissent le stabiliser et nous expliquer ce qui se passe.»

Sophie a beaucoup appris de cette expérience. Avec l'aide de professionnels, elle a appris à mieux décoder l'agressivité de son fils et à mieux la prévenir. «Le message qu'il nous envoie, c'est qu'il a besoin d'aide encore plus.»

Depuis cette hospitalisation, son conjoint Dominick et elle ont réussi à garder Benjamin à la maison. Ce n'est pas toujours facile. Il fait parfois des crises. Depuis l'été, les transitions le rendent anxieux. Malgré tout, la famille, avec le soutien de l'école, avait réussi à trouver un semblant d'équilibre. Un équilibre fragile qui s'est brisé quand les parents ont appris avec stupéfaction que leur fils avait été suspendu.

Depuis, Sophie a écrit des dizaines de lettres. Elle a déposé une plainte. L'hôpital a accepté de lui donner un rendez-vous d'urgence pour proposer des solutions. Son objectif? «Je veux juste qu'il soit heureux!»

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Quand j'ai quitté Sophie et Benjamin, Renée Martel avait cessé de chanter. C'était le tour de Phil Collins, un autre classique de la maison. «Oh think twice, 'cause it's another day for you and me in paradise...»

Benjamin s'est collé à sa mère, en la regardant tendrement. Un enfant comblé d'amour. Une mère épuisée qui se bat en son nom. Ils étaient beaux tous les deux.