«Je ne sais pas si vous vous souvenez d'Hélène», m'a dit Josée, la voix triste.

Bien sûr que je m'en souvenais. «Hélène est décédée hier.»

Hélène Leduc, une amie de Josée, était cette employée de la SAQ devenue tétraplégique à la suite d'une agression armée dans la succursale de Baie-d'Urfé. Sa vie a basculé le 18 octobre 2010. Un lundi qui promettait d'être comme tous les autres, mais qui s'est terminé dans une mare de sang. Peu après midi, alors que l'employée était seule dans le magasin, deux hommes lui ont tiré une balle dans la nuque avant de prendre la fuite.

Plus de quatre ans plus tard, ils courent toujours. Leur crime demeure inexpliqué. Si l'autopsie de ce matin montre que la femme de 62 ans a succombé à ses blessures, l'enquête pour tentative de meurtre deviendra une enquête pour meurtre.

J'avais rencontré Hélène Leduc un an après la tragédie, dans un CHSLD. C'était la première fois qu'elle acceptait de raconter publiquement son histoire. Clouée à son fauteuil roulant, la dame au regard profond et triste avait commencé son récit par un avertissement: «Vivez chaque moment intensément. Ne tenez rien pour acquis. Parce qu'on ne sait jamais, du jour au lendemain, ce qui peut arriver.»

Elle avait raconté ce lundi où elle était allée travailler comme d'habitude. Tout était tranquille. Puis, à 12h05, l'ordinaire s'est liquéfié dans l'horreur. Deux hommes sont entrés dans le magasin. «Est-ce que je peux vous aider?»

Les hommes étaient armés. «Tourne-toi. Mets-toi à genoux. Nous ne te ferons pas mal.» Elle a cru qu'ils allaient l'assommer avec la crosse du fusil, voler ce qu'ils voulaient voler et partir. Ils lui ont plutôt tiré une balle dans la nuque.

Vingt minutes plus tard, c'est un client qu'elle connaissait bien qui l'a retrouvée sur le plancher du magasin. C'est lui qui a appelé le 911.

Hélène n'a plus jamais pu rentrer chez elle. Elle n'a plus jamais marché. Elle n'a plus jamais pu prendre dans ses bras ses trois enfants et ses petits-enfants adorés. Sa moelle épinière avait été touchée. Elle était paralysée. C'était comme si elle n'avait plus de corps, me disait-elle.

Sa vie «normale» avait été anéantie. Elle était particulièrement triste de ne plus pouvoir courir et danser avec ses petits-enfants comme elle aimait tant le faire. Mais elle demeurait digne et forte, malgré tout, en s'efforçant de ne pas pleurer. «Car si je pleure, ça prend quelqu'un pour essuyer mes yeux chaque fois», m'avait-elle dit.

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Hélène Leduc laisse dans le deuil ses enfants Lindsay, Tina et Devin et ses petits-enfants Cassandra, Kaley, Jessica, Alexandre et Emma.

Ses enfants se doutaient que la fin approchait. «À partir de Noël, on se disait que c'était sa dernière année», me dit son fils Devin. Le savait-elle elle-même? Sans doute. Mais elle n'en parlait pas. Sa famille, ses amis et son infirmier l'aidaient à garder le moral.

Josée lui avait rendu visite samedi. Elle avait remarqué que l'état de santé de son amie se dégradait sans cesse. Elle arrivait de moins en moins à rester assise dans son fauteuil roulant. Elle était le plus souvent couchée. Mais jamais Josée n'a pensé que c'était la dernière fois qu'elles se voyaient.

Elles ont parlé du beau Noël qu'elle avait passé avec sa famille. Elles ont rigolé ensemble. Hélène avait de nouvelles photos de ses petits-enfants collées sur son mur. Elle était heureuse de les voir, heureuse de les montrer.

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L'agression armée de Baie-d'Urfé a soulevé des questions sur la sécurité des employés de la SAQ travaillant seuls en succursale. «Nos pensées vont vers la famille de Mme Leduc. On est toujours aussi fâchés que ceux qui ont perpétré ce crime ne soient toujours pas traduits en justice», me dit Alexandre Joly, président du syndicat des employés.

Après l'agression armée dont a été victime Hélène Leduc, la CSST a exigé que la SAQ mette en place une série de mesures pour mieux encadrer le travail en solo. La SAQ a suivi ces recommandations. Mais pour le syndicat des employés, ce n'est pas suffisant. «Notre demande principale, c'est qu'il n'y ait plus de travail seul en succursale. Mais il y en a encore.»

La direction de la SAQ n'envisage pas d'éliminer le travail en solo, mais elle assure que la sécurité de ses employés est une priorité. «C'est sûr qu'un événement aussi tragique est déplorable. On a mis en place les mesures possibles pour sécuriser les succursales. On mise sur la prévention pour rehausser la sécurité du personnel», me dit son porte-parole Renaud Dugas.

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En décembre 2011, plus d'un an après cette sordide affaire, trois suspects ont été arrêtés puis libérés sans accusation. Puis rien. L'enquête du SPVM est toujours ouverte.

Hélène Leduc disait qu'elle voulait pouvoir regarder un jour ses agresseurs dans les yeux. Qu'ils voient dans quel état ils l'ont laissée. Voir s'ils pourraient endurer pareille souffrance... «C'était son souhait, dit son amie Josée, le coeur en peine. Mais aujourd'hui, ce sont eux qui vont la voir dans le journal. Parce qu'elle est morte.»

Elle est morte. Ils courent. Et on attend toujours que justice soit rendue.

Le fil des événements

18 OCTOBRE 2010

Agression armée à la succursale de la SAQ de Baie-d'Urfé. Deux hommes tirent une balle dans la nuque d'Hélène Leduc, 58 ans, avant de prendre la fuite. Employée de la SAQ depuis 11 ans, Mme Leduc était seule dans le magasin. Vingt minutes plus tard, c'est un client qui l'a retrouvée inconsciente et a appelé le 911. Touchée à la moelle épinière, Mme Leduc est devenue tétraplégique. Comme aucun vol n'a été commis, le mobile du crime reste inconnu.

26 OCTOBRE 2010

Le Service de police de la Ville de Montréal diffuse une vidéo captée par une caméra de surveillance quelques minutes avant le drame. On y voit un homme arpenter les allées du magasin du 90, rue Morgan. Par l'entremise de Jeunesse au Soleil, des donateurs offrent une récompense de 10 000$ pour toute information susceptible de mener à l'arrestation des suspects.

7 JUIN 2011

La SAQ met en oeuvre une série de mesures pour améliorer la sécurité de ses employés et se conformer aux exigences de la CSST. Le travail en solo n'est pas abandonné, mais son organisation est revue. Le syndicat est satisfait de l'ensemble des changements, mais déçu que le travail en solo soit maintenu.

8 DÉCEMBRE 2011

Trois suspects sont arrêtés et interrogés. Ils sont libérés quelques heures plus tard sans accusation.

11 OCTOBRE 2012

Le Service de police de Montréal diffuse le portrait-robot d'un suspect. Pour inciter les langues à se délier, la récompense offerte à la personne qui pourrait mener à l'arrestation des suspects a doublé. Le suspect recherché est un homme âgé de 25 à 30 ans, mais qui paraît plus vieux. Il aurait le teint basané, mesurerait environ 1,77 m, pèserait environ 73 kg, aurait les cheveux bruns légèrement bouclés, retombant sur son front. Il s'exprime en anglais.

21 JANVIER 2015

Mort d'Hélène Leduc à l'âge de 62 ans. Elle laisse dans le deuil ses trois enfants Lindsay, Tina et Devin et cinq petits-enfants. Une autopsie déterminera aujourd'hui si l'enquête pour tentative de meurtre deviendra une enquête pour meurtre.

On peut communiquer de façon anonyme et confidentielle avec Info-Crime Montréal au 514 393-1133.