Le samedi 20 décembre, peu avant 10h, deux agents du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) ont sonné à la porte de Simon Pinault-Ricard.

Simon sortait de la douche, encore un peu endormi, quand son père lui a dit: «Il y a la police qui est là.»

Les policiers voulaient le voir au sujet de sa mère, Lucie Pinault.

Simon a 20 ans. Il vit avec son père, Patrice Ricard, ex-conjoint de Lucie Pinault.

Les deux policiers, un homme et une femme, ont demandé à entrer. Ils ont dit: «Veuillez vous asseoir.»

Le père et le fils se sont assis, inquiets.

C'est la policière qui parlait. «On est ici parce qu'on n'a pas une bonne nouvelle.»

Son collègue était silencieux à ses côtés, fixant le vide, l'air mal à l'aise.

«Simon, ta mère est décédée. On l'a retrouvée morte chez elle.»

La policière a ajouté: «Mes condoléances, Simon.»

Simon s'est effondré dans les bras de son père. Il tremblait comme une feuille. Il a pleuré à s'en fendre l'âme.

Les agents ont dit qu'ils avaient eu de la difficulté à retrouver les proches, que les circonstances de la mort n'étaient pas claires, qu'une enquête était ouverte. Simon a imaginé le pire. Un assassinat, un viol...

Le père de Simon était en état de choc aussi. On lui avait déjà annoncé la mort d'un proche dans sa vie. «Mais voir son fils déchiré de douleur à l'annonce de la mort de sa mère est une peine et une souffrance difficiles à décrire, et encore plus à supporter.»

Les policiers sont partis, laissant au père la carte du sergent-détective Robitaille, chargé de l'enquête. Ils lui ont dit de l'appeler.

Il a appelé. Il est tombé sur une boîte vocale. Il a laissé un message.

À 10h39, le sergent-détective a appelé le père. Il lui a demandé dans quelle rue habitait Lucie. Il lui a demandé si elle avait déjà habité dans la rue Louis-Hémon. Il lui a demandé sa date de naissance. Puis, il a résumé: «Donc, Mme Pinault n'habite pas rue Louis-Hémon, elle n'est pas née le 10 juin 1954... Ah bon! C'est bien ce que je pensais.»

Patrice Ricard a compris que l'enquêteur était en train de lui dire qu'il y avait eu erreur sur la personne. Son ex-conjointe n'était pas morte. Une autre femme portant le même nom était morte.

«Êtes-vous en train de me dire qu'il y a eu une erreur?

- Oui, monsieur.»

Le père l'a tout de suite dit à son fils. Il a ressenti un intense soulagement. Puis, de l'incrédulité et de la colère devant cette erreur innommable.

Le sergent-détective a dit qu'il était désolé. Il a laissé entendre que l'erreur était celle des policiers, qui auraient dû vérifier avant toute chose la date de naissance.

Complètement bouleversé, M. Ricard a appelé son ex-conjointe en pleurant. Elle a mis du temps à comprendre ce qui s'était passé. «Il n'arrêtait pas de crier dans le téléphone en disant: «Simon! Simon!» Je pensais qu'il était arrivé quelque chose à notre fils.»

Plutôt que de parler à sa mère au téléphone, Simon a voulu immédiatement aller la voir. Il a couru jusque chez elle. Il était atterré. Il a crié: «Maman! Maman!» en sanglotant dans ses bras pendant une demi-heure. «Je n'avais jamais vu mon fils hurler comme ça.»

La policière a appelé M. Ricard peu après pour s'excuser. Il lui a dit que des excuses ne suffiront pas.

***

Quand je l'ai rencontré, plus de deux semaines après cette triste histoire, M. Ricard était encore ébranlé. Sa voix tremble quand il en parle. Il fait de l'insomnie. Le fait d'apprendre qu'il y a eu erreur n'a pu effacer instantanément le traumatisme que son fils et lui ont dû absorber. Ce n'est pas comme lire l'histoire dans le journal et savoir dans la minute qui suit que celle que l'on croyait morte au début de la chronique ne l'est pas.

«Apprendre la mort violente d'un proche est considéré comme un évènement potentiellement traumatique», me confirme le Dr Nicolas Bergeron, psychiatre spécialisé en choc post-traumatique. Avoir une réaction intense n'est pas anormal dans un tel cas. «L'impact peut être très important. Ça ne doit pas être pris à la légère.»

Le lendemain, M. Ricard a rappelé le sergent-détective. Il lui a demandé son matricule ainsi que le nom et le numéro de téléphone de son supérieur. Le ton a monté. Le sergent-détective a voulu s'expliquer. M. Ricard, encore bouleversé, lui a dit que ce n'était pas le moment. Étant donné la gravité de l'erreur, il voulait à tout le moins avoir des explications en face à face par des personnes en autorité. Ce n'est pas comme si on avait donné une contravention de stationnement à la mauvaise personne. Il n'ose penser à ce qui aurait pu se passer si son fils avait été seul au moment de la visite des policiers.

Révolté par l'amateurisme dont a fait preuve le SPVM, M. Ricard a envoyé le 29 décembre une lettre à l'inspecteur Christian Cloutier, chef du poste de quartier 38, ainsi qu'au directeur du SPVM, Marc Parent, les priant d'agir avec diligence.

Le lundi 5 janvier, l'inspecteur Cloutier lui a laissé un message, promettant de faire des vérifications et de le rappeler. Puis, pendant cinq jours, silence radio. Ce n'est que vendredi après-midi, quelques heures après que j'eus moi-même appelé le SPVM à ce sujet, que l'inspecteur a rappelé M. Ricard pour proposer de le rencontrer ce mercredi - soit près d'un mois après l'incident.

***

La version racontée ci-dessus est celle de M. Ricard. Qu'en dit le SPVM? Son porte-parole Ian Lafrenière invoque une «erreur de bonne foi», commise par le sergent-détective.

Annoncer la mort de quelqu'un est la pire tâche qui soit pour un policier, dit-il. Et si on se trompe en plus, c'est «horrible». «Dans ce domaine, toutes les erreurs sont graves.» Cela dit, aucune sanction n'a été imposée.

L'erreur a été commise dans un contexte où on avait beaucoup de mal à retrouver les proches de la véritable victime - ils ont finalement été joints le jour même à 15h, et on confirme qu'il ne s'agit pas d'une mort criminelle. Une voisine de la victime a dit que, parfois, un jeune homme venait la voir. En faisant des recoupements, on a tenu pour acquis que ce jeune homme était Simon, sans faire les vérifications élémentaires qui s'imposaient.

Peu avant 10h, on a donc envoyé des policiers du poste de quartier rencontrer Simon. À 10h, soit une vingtaine de minutes plus tard, l'enquêteur, assailli par un doute, a rappelé au poste pour demander que l'on vérifie la date de naissance et l'adresse de la mère de Simon. Mais il était trop tard. «L'annonce avait déjà était faite», dit M. Lafrenière.

«On ne peut pas faire un erratum, ajoute-t-il. Les conséquences sont sérieuses.»

Que le SPVM l'admette ne peut effacer la douleur ressentie par un père et son fils un matin de décembre. Ce matin où, pendant une heure qui a paru une éternité, la mère de Simon était morte et ils sont morts un peu avec elle.