Je disais la semaine dernière que toutes ces langues qui se délient, osant défier le silence dans lequel s'engluent trop souvent les histoires de viol, étaient peut-être la seule bonne chose qui ait émergé de la sordide affaire Ghomeshi.

Ai-je changé d'avis une semaine plus tard, alors que l'on se demande si certains sont allés trop loin? Non.

Certains sont allés trop loin, soit, croyant à tort que c'était le meilleur moyen de se faire entendre. Ainsi a-t-on assisté au triste spectacle de dénonciations anonymes de supposés agresseurs sexuels à l'UQAM. Des professeurs ont vu leur porte de bureau placardée d'autocollants dénonçant la culture du viol. Condamnés sans autre forme de procès. Comme si la présomption d'innocence n'était plus qu'un détail sans importance.

Ces dérapages sont aussi déplorables qu'inquiétants. Ils m'inquiètent d'autant plus qu'ils sont devenus pour beaucoup un prétexte en or pour discréditer par association tout un mouvement légitime et nécessaire.

Rappelez-vous comment, au printemps 2012, on a diabolisé le mouvement étudiant en prétendant que le carré rouge était synonyme de violence et d'intimidation. À cause de quelques casseurs, tout un mouvement généralement pacifique était mis à procès.

C'est le même mécanisme qui est à l'oeuvre ici. Quelques actes isolés de délation, et allez, hop! tout un mouvement qui n'a absolument rien à voir avec la délation est diabolisé.

Ainsi oublie-t-on le contexte dans lequel le mouvement #AgressionNonDénoncée est né. On oublie la culture du viol. On détourne le regard. On détourne le débat. Et voilà le ressac.

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Le hasard a voulu que ce soit dans ce contexte pour le moins houleux que s'ouvre ce matin à l'UQAM un colloque intitulé «Sexe, amour et pouvoir: il était une fois à l'université...». Un colloque très à-propos sur la délicate question des rapports entre professeurs et étudiantes.

Organisé par la professeure Martine Delvaux et des étudiantes, le colloque se propose de lever un tabou. «Ce n'est pas un procès public. On veut réfléchir à ces questions», tient à préciser à qui veut bien l'entendre l'auteure de l'excellent essai Les filles en série (Remue-ménage, 2013).

Martine Delvaux déplore les dénonciations anonymes auxquelles on a assisté à l'UQAM. Pour elle, cela témoigne d'une désolante rupture du lien de confiance entre les étudiantes et l'établissement. «Je voudrais qu'elles aient suffisamment confiance pour se servir des moyens légitimes de porter plainte.»

Ces moyens légitimes sont-ils suffisamment connus? Sans doute pas. Sont-ils parfaitement efficaces? Sans doute pas non plus. Aux étudiantes, elle aimerait que l'on puisse dire: «Ne perdez pas confiance. On vous entend.»

C'est justement parce qu'elle sentait l'urgence d'entendre la voix des étudiantes que Martine Delvaux a voulu que l'on parle de sexe, d'amour et de pouvoir à l'université. Que l'on en parle autrement en prenant le sujet au sérieux, comme le fait Yvon Rivard dans son essai Aimer, enseigner (Boréal, 2012), récompensé par le prix du Gouverneur général.

Trop souvent, quand on pense aux relations entre professeurs et étudiantes, l'histoire que l'on veut entendre, c'est la belle histoire. Celle du couple qui a vécu heureux et a eu des enfants. Cette histoire existe, bien sûr. Mais c'est l'exception, rappelle Martine Delvaux. L'exception qui empêche de penser la règle.

On peut se raconter toutes sortes d'histoires, mais on ne peut faire fi du rapport de pouvoir qui existe entre un prof et une étudiante. Un rapport semblable à certains égards à celui qui existe entre un médecin et son patient. Le code de déontologie des médecins est très clair à ce sujet. Il décourage explicitement les relations sexuelles entre un médecin et son patient. Serait-il souhaitable d'établir des balises aussi claires quand il est question de la relation entre professeurs et étudiants? Peut-on vraiment parler de consentement dans de telles situations? Ce sont de bonnes questions qui méritent d'être posées.

De bonnes questions sur les dénonciations anonymes et leurs graves conséquences méritent aussi d'être posées. Mais on aurait tort de réduire tout un mouvement de prise de parole à quelques sursauts radicaux.

En matière d'agressions sexuelles, malgré les prises de parole des dernières semaines, il faut rappeler une évidence: la culture dominante n'est pas à la délation, mais bien au silence. C'est une culture sexiste qui, encore aujourd'hui, conçoit les filles comme des objets, banalise le viol, l'encourage et accuse ensuite les femmes d'en être responsables ou de mentir. C'est une culture qui hausse les épaules quand on lui dit, par exemple, que 1200 femmes autochtones ont été assassinées ou ont disparu depuis 1980.

La toile de fond peu réjouissante de tout ce débat, c'est bien celle-là. Ma crainte, c'est que le ressac nous le fasse oublier et que l'on s'arrête au doigt qui montre plutôt qu'à ce qu'il veut montrer.