Je vous racontais il y a quelque temps l'histoire crève-coeur de Linda De Luca, une mère qui, après la mort de son fils lourdement handicapé, s'est vu refuser la prestation de 2500 $ pouvant être accordée par l'État pour rembourser les frais funéraires. Elle qui s'était toujours battue pour son fils trisomique était condamnée à continuer à se battre pour lui même après sa mort, coupable d'avoir été trop prévoyante.

À la suite de la publication de cette chronique, une bonne et une mauvaise nouvelle. Commençons par la bonne. L'histoire a touché de nombreux lecteurs. Plusieurs ont tenu à envoyer à Mme De Luca des dons et des mots d'encouragement. Depuis deux semaines, il ne se passe pas un jour sans que je ne retrouve dans mon pigeonnier une lettre qui lui est adressée.

Mme De Luca était émue aux larmes, hier, quand je lui ai remis tout ce que j'ai reçu pour elle. Cet élan spontané de solidarité la touche profondément.

Son fils Martin parlait peu. Mais un des mots qu'il répétait sans cesse, c'est « amour ». « Maman, amour... » Il lui en donnait à profusion. Elle le lui rendait bien, elle qui a remué ciel et terre pour lui offrir la meilleure vie qui soit. « Cet amour-là, j'aimerais le redonner aux lecteurs », m'a-t-elle dit, les yeux embués.

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Bref rappel des faits pour ceux qui n'ont pas lu ma première chronique à ce sujet. Martin, le fils adoré de Mme De Luca, était prestataire de l'aide sociale en raison de son handicap. Sa mère a pris soin de lui toute sa vie. Quand il est mort, à l'âge de 39 ans, emporté par une pneumonie d'aspiration, Mme De Luca pensait pouvoir compter sur la prestation spéciale pour frais funéraires généralement versée par le ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale (MESS) lorsque les ressources financières de la personne décédée sont insuffisantes.

Or, au grand désarroi de la mère endeuillée, sa demande de prestation a été refusée. Mme De Luca avait eu le malheur d'être trop prévoyante. Mère de famille monoparentale, elle s'était toujours demandé ce qui adviendrait de son fils si elle devait mourir avant lui. Une question qui angoisse bien des parents d'enfants lourdement handicapés. Pour éviter que le sort de Martin ne se retrouve entre les mains du curateur public, Mme De Luca avait donc fait des arrangements funéraires préalables pour elle et pour son fils.

La mère ne se doutait pas alors qu'elle allait être punie pour avoir bien fait les choses. Car tout service funéraire payé avant le décès est déduit de la prestation du MESS. Même si, après les funérailles de Martin, il restait encore plus de 2000 $ à payer pour le cimetière, les fleurs, la messe et le graveur, elle a appris à sa grande surprise qu'elle n'avait pas droit à un seul sou du MESS.

À bout de souffle, Mme De Luca a contesté cette décision, qu'elle estime injuste. Mais sa demande de révision a été rejetée. Le MESS s'entête à appliquer bêtement une loi inéquitable dans les circonstances. Nos condoléances, madame. Maintenant, débrouillez-vous.

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Grâce à la grande générosité des lecteurs, Mme De Luca peut au moins souffler un peu. La bataille des coeurs, elle l'a gagnée. Mais il lui faut maintenant gagner la bataille des principes. Car au-delà de l'argent, il y a ici des enjeux d'équité et de dignité pour les personnes handicapées et leurs proches condamnés à se battre en leur nom. La mauvaise nouvelle, c'est que jusqu'ici, cette histoire semble laisser le MESS complètement indifférent.

Même si elle se sent épuisée, Mme De Luca est déterminée à aller jusqu'au bout. Pour obtenir justice, elle peut porter sa cause devant le Tribunal administratif du Québec. Elle peut aussi s'adresser au Protecteur du citoyen. Un couple qui, après trois ans de démarches, a réussi à gagner sa cause dans des circonstances semblables a offert de l'aider.

Ce n'est malheureusement pas la première fois que le sort de personnes trisomiques se bute à la plus grande indifférence de notre gouvernement. Sylvain Fortin, de la Société québécoise de la Trisomie-21, le sait trop bien. Lui-même père d'un fils atteint de trisomie, il a été bouleversé par l'histoire de Mme De Luca et indigné par l'absence de compassion de l'État. « La cause n'est pas perçue comme glamour ».

Des cas autrement plus tragiques auraient pourtant dû agir comme un signal d'alarme, rappelle-t-il. Celui des frères Roy, par exemple. Il y a quatre ans presque jour pour jour, Richard Roy, 46 ans, atteint de trisomie 21, et son grand frère Jean-Guy, 59 ans, qui s'occupait de lui depuis le décès de sa mère, ont été retrouvés morts dans leur résidence de Saint-Jude. Le grand frère était mort le premier de causes naturelles. Le petit frère, laissé à lui-même, n'a pu survivre seul. Une tragédie qui illustrait par l'extrême le manque criant de ressources adéquates pour les adultes trisomiques.

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La Société québécoise de la Trisomie-21 a aussi tenu à faire un don à Mme De Luca. Mais la charité ne peut remplacer la justice. En principe, les personnes handicapées ont le droit à la même dignité que tout autre citoyen. Sauf que le message brutal qu'envoie le gouvernement aux gens qui se soucient du sort de ces gens vulnérables, c'est : « Si vous voulez de la dignité, payez-la vous-mêmes! »

À défaut de vouloir corriger l'iniquité de la loi, le ministre François Blais ne peut-il pas tout simplement casser une décision pour des motifs humanitaires ? Oui, il le peut, me dit son attachée de presse. Mais à condition que la santé ou la sécurité de la personne visée soit compromise ou que l'on craigne qu'elle se retrouve en « dénuement total » Demi-Cadratin ce qui n'est heureusement pas le cas de Mme De Luca.

Bref, si j'ai bien compris, plutôt que de lancer une bouée à une mère épuisée qui appelle à l'aide, le ministère « de la Solidarité sociale » attend d'être certain qu'elle se soit bel et bien noyée. Vive la solidarité.