Si le ministre Yves Bolduc veut forcer les écoles à implanter le programme d'anglais intensif au primaire, il faudra d'abord le forcer lui-même à faire preuve de plus de cohérence. Car ce programme n'a de valeur que si on donne aux écoles les moyens de le mettre sur pied correctement et d'avoir les enseignants qualifiés pour le faire. Sinon, ce ne sera qu'un gâchis intensif.

C'est ce qu'on se dit en lisant l'avis étoffé sur le sujet rendu public cette semaine par le Conseil supérieur de l'éducation (CSE). Le CSE n'est pas contre le programme d'anglais intensif en soi. Mais il est contre le fait de le rendre obligatoire n'importe comment, sans offrir aux écoles les ressources adéquates. En ces temps de restrictions budgétaires où des services essentiels sont réduits dans les écoles, on voit mal comment on y arrivera.

L'avis du CSE déboulonne un certain nombre de mythes très répandus en matière d'apprentissage d'une langue seconde. Dans ce débat où les attentes des parents se heurtent à des préoccupations identitaires, il est intéressant de soumettre certaines idées reçues à la loupe des chercheurs.

Mythe numéro un: les jeunes enfants sont des éponges; il faudrait donc commencer l'apprentissage de l'anglais le plus tôt possible.

En réalité, rien ne permet d'affirmer qu'il y a une période critique à ne pas dépasser pour commencer l'apprentissage d'une langue seconde, rappellent les chercheurs cités par le CSE. À moins d'avoir été exposés à la maison à deux langues avant même la scolarisation, les enfants ne deviennent pas bilingues en suivant des cours de langue seconde dès la pouponnière. La méthode du saupoudrage est inutile. Les études montrent qu'un enseignement intensif durant la préadolescence est beaucoup plus efficace.

Mythe numéro deux: l'apprentissage d'une langue seconde est une surcharge pour les élèves en difficulté ou handicapés, qui devraient être exclus des programmes intensifs.

En réalité, les chercheurs nous disent que l'apprentissage de plusieurs langues peut être bénéfique pour ces élèves. Il stimule le développement cognitif et entraîne des effets positifs sur l'apprentissage en général.

Mythe numéro trois: apprendre l'anglais peut compromettre la maîtrise du français, langue maternelle.

En réalité, l'unilinguisme ne protège pas la langue maternelle, bien au contraire. L'apprentissage d'une langue seconde augmente la capacité à réfléchir sur le fonctionnement de sa propre langue.

Mythe numéro quatre, qui ne figure pas dans le rapport du CSE, mais que j'ai vu passer sur le fil Twitter du député péquiste Stéphane Bergeron cette semaine: les petits Québécois francophones doivent apprendre l'anglais alors que les petits Québécois anglophones n'apprennent pas le français. «À quand le français intensif pour les petits Québécois anglophones?», demandait l'ex-ministre de la Sécurité publique.

M. Bergeron, je vous rassure, nous ne sommes plus dans les années 60. Il s'est passé deux ou trois trucs depuis. La jeune génération anglophone est aujourd'hui la plus bilingue du Québec. À la demande générale, les écoles primaires anglaises sont nombreuses à mettre sur pied des programmes d'immersion en français. À la Commission scolaire English-Montréal, 29 écoles primaires sur 35 offrent de tels programmes. Ils sont si populaires que des parents sont prêts à camper devant l'école pour y avoir une place. C'est sans compter les milliers de Québécois anglophones qui auraient le droit de fréquenter l'école anglaise mais qui sont de plus en plus nombreux à choisir l'école française. Donc, pour les clichés sur les petits anglophones unilingues, il faudra repasser.

Est-ce à dire qu'il est souhaitable, au Québec, de rendre l'immersion en anglais obligatoire au primaire? Pas du tout. Pour éviter que l'apprentissage d'une langue n'entraîne des pertes de compétences dans la langue maternelle, il faut bien sûr tenir compte du contexte. L'avis du CSE souligne que dans le contexte linguistique nord-américain où le français est minoritaire, l'immersion en anglais comporte des risques. Au Québec, le français doit absolument demeurer la langue d'enseignement pendant la scolarisation obligatoire, comme l'exige la loi 101.

Cela dit, il ne faut pas confondre «immersion» et «enseignement intensif». Dans un programme d'immersion, les élèves suivent une partie ou l'ensemble de leurs cours dans la langue seconde. Dans un programme intensif, seule la langue seconde est enseignée à plein temps durant cinq mois et on revient à l'enseignement régulier le reste de l'année.

Ce type de programme, qui existe déjà dans 15% des écoles au Québec, est efficace lorsqu'il est implanté correctement. Mais dans un contexte de pénurie d'enseignants qualifiés en anglais langue seconde, on voit encore mal comment le programme pourrait être généralisé.

Le ministre Bolduc dit qu'il y aura des «exceptions», dans les écoles qui accueillent une majorité d'allophones, par exemple, ce qui devrait aller de soi. Mais encore? Il ne suffit pas de parler anglais pour pouvoir l'enseigner. Pour que le programme soit efficace, il faut que les professeurs aient été spécifiquement formés pour l'enseignement de l'anglais. S'il y a pénurie, où le ministre trouvera-t-il les enseignants qui feraient de ce programme un succès?