«Quand le rapport Ménard sera-t-il rendu public? Est-ce aujourd'hui?», ai-je demandé mercredi après-midi à un porte-parole du ministère de la Sécurité publique.

«On n'a pas d'information à ce sujet», m'a-t-il répondu, l'air embarrassé.

J'avoue qu'il aurait été gênant de répondre: «Nous comptons rendre public le rapport sur le printemps étudiant en catimini ce soir, quelques minutes avant le septième match du Canadien.» C'est encore plus gênant de le faire. Et voilà, c'est fait.

Ça sent la Coupe? Non, ça sent surtout la tablette, pour ne pas dire la poubelle... Il y a de ces odeurs qui ne trompent pas.

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Je suis de ceux qui croient que les événements traumatiques du printemps 2012 auraient mérité une véritable commission d'enquête publique sur le comportement des policiers. Pas une commission Charbonneau des pauvres, dont le jupon dépassait dès sa conception.

La Commission spéciale d'examen des événements du printemps 2012 est malheureusement née avec un vice de conception. Un vice qui minait d'emblée sa crédibilité. On ne peut pas s'attendre à ce qu'une commission créée à la base par le PQ pour blâmer le PLQ soit perçue comme étant autre chose qu'un exercice partisan.

Bien avant le dépôt du rapport Ménard le soir du match le plus attendu de l'année, sa tablette était donc déjà réservée. Et l'exercice de démolition qui a suivi hier n'avait pas grand-chose d'étonnant dans les circonstances.

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Ça sent la tablette et même la poubelle, disais-je. Mais malgré tout ce qu'on peut reprocher à la commission Ménard, on aurait tort d'ignorer son rapport. Car on y trouve plusieurs recommandations pertinentes en ce qui concerne le travail des policiers. Des recommandations qui permettraient de tirer des leçons d'un printemps houleux plutôt que d'en nier les dérives.

La plus importante grève étudiante de l'histoire du Québec a laissé des cicatrices. Même s'il s'agissait d'un mouvement généralement pacifique, elle a donné lieu à une vague d'arrestations (au moins 3500!) et d'abus policiers sans précédent. Depuis, combien de professeurs, de parents ou d'étudiants, témoins ou victimes de brutalité, ne font plus confiance à la police?

Pour éviter que les manquements observés ne se reproduisent et rétablir le lien de confiance, la Commission recommande notamment que les stratégies d'encerclement et d'arrestation de masse ne soient utilisées qu'en dernier recours. Elles devraient toucher le moins possible les manifestants pacifiques. Et leur objectif devrait être de cibler les gens qui ont commis ou qui s'apprêtent à commettre un acte criminel.

Ça semble aller de soi. Et pourtant, comme le souligne Stéphane Berthomet, lui-même ex-policier et auteur du livre Enquête sur la police*, largement cité dans le rapport, cette stratégie n'est pas celle du SPVM. La vision policière des manifestations étudiantes est monolithique. Comme si on disait: «On ne peut arrêter les voyous, alors on s'en prend à l'ensemble des participants.» Or, cette façon de procéder, contrairement à ce que prétend la police, sert finalement plus les intérêts des casseurs que ceux des citoyens pacifiques, qui voient leur droit de manifester bafoué.

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Parlons-en, de ce droit qui a souvent été jugé comme un caprice par la police. La commission Ménard note que graduellement, au cours du printemps 2012, une certaine forme de mépris à l'égard du mouvement étudiant s'est installée chez les policiers. Des propos injurieux aux coups de matraque injustifiés, on a rapporté de trop nombreux cas d'abus ou d'usage excessif de la force à l'endroit des manifestants. Or, on sait que lorsque les droits d'une partie de la population sont bafoués, le recul démocratique vaut pour tous.

Les dérives de la part de certains policiers ont amené la Commission à conclure qu'il existe actuellement un manque dans leur formation en ce qui concerne la compréhension de l'importance du droit de manifester. Un manque aussi en ce qui concerne la compréhension de leur propre rôle au sein de la société. Un rôle noble et difficile qui inclut la sauvegarde des droits et libertés. Mais pour sauvegarder des droits, encore faut-il être convaincu de leur valeur...

La commission Ménard en appelle donc à une meilleure formation des futurs policiers. Car comprendre l'importance du droit de manifester dans une société démocratique n'est-il pas tout aussi important que de connaître les techniques de contrôle de foule?

Pourquoi encore taper sur les policiers? demanderont certains. Il ne s'agit pas de blâmer l'ensemble des policiers - la majorité d'entre eux ont bien fait leur travail malgré des conditions ardues, souligne la Commission. Il s'agit de tirer des leçons d'un printemps dont les dérives ont nui aux policiers eux-mêmes. Car pour reprendre les mots de Maurice Grimaud, préfet de police de Paris en mai 1968: «Frapper un manifestant tombé à terre, c'est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière.»

* Le livre Enquête sur la police a été publié chez VLB éditeur en 2013. La citation de la fin en est tirée.