C'était un soir de semaine, à l'heure du souper. «Maman, il y a quelqu'un à la porte...»

Sans doute un candidat qui fait son porte-à-porte pour vendre sa salade, me suis-je dit. Ou un témoin de Jéhovah? Il me semble que ça fait un moment...

J'avais tort. L'homme qui était devant moi n'avait rien à vendre. Ni salade ni dieux. Aspirant candidat du Parti nul, il devait récolter 100 signatures pour sa mise en candidature.

Il n'avait ni promesse ni programme. Il ne demandait pas que je vote pour lui. Ce qui l'intéressait, c'était d'offrir la possibilité d'une case à l'électeur qui ne voudrait en cocher aucune. Une case pour exprimer son insatisfaction à l'égard du système électoral. Bref, une case pour les sans-case qui trouvent la campagne électorale si pénible qu'ils ont juste envie de cocher «aucune de ces réponses». Il me semble qu'ils n'ont jamais été aussi nombreux.

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«Qu'est-ce qu'il voulait, le monsieur?», a demandé mon fils de 7 ans. J'ai eu du mal à lui expliquer ce parti qui n'en est pas un et ce candidat qui voulait donner son nom à une case plutôt qu'à une cause. De façon absurde, je venais de souhaiter «bonne chance» à un gars qui ne veut surtout pas être élu. «Comment ça, il ne veut pas être élu?, a demandé fiston, l'air confus. Qu'est-ce qu'il veut alors?»

J'ai pensé que si le Parti nul était un couteau, ce ne serait pas un couteau comme ceux que l'on voit voler bien bas en campagne électorale. Il ressemblerait plutôt au couteau du philosophe Lichtenberg. «Un couteau sans lame auquel ne manque que le manche.»

Avant que ce candidat ne sonne à ma porte, j'avais entendu parler du Parti nul grâce à leur ex-candidat-vedette Anarchopanda, alias Julien Villeneuve. Ce prof de philo devenu célèbre durant la grève étudiante de 2012 s'est porté candidat du Parti nul en s'assurant de ne rien promettre. On peut dire qu'il a tenu ses promesses et même plus encore, car une semaine plus tard, il a retiré sa candidature. Il craignait qu'on vote pour lui, alors que l'idée était plutôt de permettre à l'électeur de ne voter pour personne.

Au moment d'annoncer sa candidature, le célèbre panda a écrit ceci sur sa page Facebook: «Je n'ai pas de plateforme, pas de slogan, pas de belles pancartes, je ne serre pas de mains, je n'embrasse pas de bébés, je ne prends pas de selfies disgracieux, à vrai dire, je n'ai même pas de personnalité électorale, mon identité ne change absolument rien, car vous savez que je ne serai jamais élu-e et que, même élu-e, je ne ferais absolument rien. Je ne suis qu'un emplacement sur votre bulletin de vote qui signifie NON MERCI.»

En regardant les deux principaux partis se jeter de la boue en cette fin de campagne qui passera peut-être à l'histoire comme étant l'une des plus sales, combien d'électeurs sont tentés d'éponger leur désespoir sur ce «NON MERCI» ? Combien se sentent orphelins en regardant les choix réels qui s'offrent à eux? Parmi les formations susceptibles de former le gouvernement, vous avez, d'un côté, un parti autrefois social-démocrate qui verse dans le populisme de droite et sur lequel planent des soupçons de corruption. De l'autre, un parti de centre droit qui a tout fait pour éviter qu'il y ait une commission d'enquête et sur lequel planent les mêmes soupçons. Ça promet.

Devant ce triste dilemme et à défaut d'un mode de scrutin proportionnel qui donnerait de meilleures chances aux petits partis, combien sont à ce point dégoûtés par la politique qu'ils ne veulent même plus voter? Et si, malgré tout, ils croient à la valeur du vote démocratique, que peuvent-ils faire pour exprimer leur ras-le-bol?

Avec son parti qui n'en est pas un, le Parti nul illustre ce ras-le-bol par l'absurde. Il rappelle l'urgence de s'y attarder. On tient pour acquis que les gens qui ne vont pas voter sont des décrocheurs politiques apathiques. On présume que les absents ont toujours tort. Vous n'avez pas voté? Eh! bien, taisez-vous maintenant. Interdit de chialer jusqu'aux prochaines élections...

Le fait est que le taux de participation ne nous dit rien sur les motivations des abstentionnistes. Si le vote blanc était mesuré, comme cela se fait ailleurs dans le monde, on réaliserait peut-être que, devant une démocratie qui trahit ses promesses, on confond indifférence et «bris de confiance».

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Il n'y a pas si longtemps, le ministre Bernard Drainville se disait très préoccupé par ce «bris de confiance». Préoccupé par le «dégoût» et le «mépris» - ce sont les mots qu'il a employés - que bien des citoyens ressentent envers tout ce qui touche de près ou de loin nos institutions démocratiques.

Comment rétablir le lien de confiance? En instaurant des élections à date fixe, a dit le ministre dans un plaidoyer solennel. Car en démocratie, il n'y a pas de rendez-vous plus important qu'une élection, a-t-il rappelé. «Les élections appartiennent à la population. Leurs dates doivent servir l'intérêt démocratique, pas l'intérêt du parti au pouvoir. En fixant une date d'élection, on fait disparaître la stratégie partisane de la date électorale. Fini les déclenchements en fonction des sondages. Fini les déclenchements en fonction des commissions d'enquête.»

Tel qu'on l'a promis en campagne électorale, une loi en ce sens a été adoptée à l'unanimité par l'Assemblée nationale en juin 2013. Fini alors ces histoires qui minent le lien de confiance avec les citoyens? Fini cette idée de dépenser 80 millions pour une campagne électorale sans raison valable? Oui, oui. C'est fini, c'est promis! Jusqu'à la prochaine fois...

Il y a des couteaux sans lame auxquels ne manque que le manche. Il y a aussi des promesses sans engagement auxquelles ne manque que le principe.