À entendre la rumeur publique ces derniers temps, on a l'impression que toute la société est soudainement devenue féministe. La lutte contre le sexisme religieux, musulman et ostentatoire, de préférence, serait devenue une priorité. Car les sexistes, c'est bien connu, ce sont avant tout les autres. Nous, nous sommes tous apriori féministes et égalitaires, n'est-ce pas?

Les religions ont toujours été sexistes. Il ne s'agit pas de le nier. Si de plus en plus de voix s'élèvent pour le dénoncer, on peut s'en réjouir. Mais ce soudain regain de féminisme me semblerait plus crédible s'il n'était pas si souvent à géométrie variable. Il serait plus crédible s'il n'y avait pas ce «deux sexismes, deux mesures»: déchirer sa chemise quand il est question du sexisme de l'islam et se taire devant toutes les autres manifestations de sexisme ordinaire. Ce double discours qui condamne d'un côté ce qu'il accepte de l'autre ne manque-t-il pas de cohérence?

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On aurait pu espérer que des décennies de luttes féministes parviennent à effacer les inégalités. Mais on constate qu'en dépit d'importantes avancées, l'égalité de droits ne se traduit pas toujours par une égalité de fait. Non, le sexisme n'est pas mort en Occident. Il se porte même plutôt bien, comme en témoignent les exemples que ma collègue Nathalie Collard et moi avons compilés à l'occasion de la Journée de la femme.

Il ne s'agit pas ici de mettre pêle-mêle sur un même plateau d'horreurs les traditions religieuses sexistes, les crimes dits «d'honneur», la violence domestique ou l'hypersexualisation. L'idée était plutôt de repérer au quotidien des manifestations de sexisme ordinaire. Si ordinaire que, très souvent, on ne le remarque plus.

Ce qui frappe, c'est de constater à quel point, même après une révolution féministe, les stéréotypes sexistes ont toujours la cote. Dans l'univers médiatique, par exemple, une femme athlète aura beau être la meilleure de sa catégorie, on voudra avant tout qu'elle puisse être une poupée sexy (et, idéalement, que sa mère reste au foyer au lieu de la larguer à la garderie à 7$). Femme-poupée, mère idéale au foyer... Les clichés sexistes ont la vie dure.

L'exemple extrême de la «poupounisation» de l'athlète est, à mes yeux, cette photo renversante, publiée durant les Jeux de Sotchi, de la joueuse de curling Anna Sidorova en sous-vêtements et talons aiguilles. Prostrée devant sa pierre de curling. À genoux devant le sexisme éternel.

Si c'est son choix, où est le problème? dira-t-on. Il ne s'agit pas de remettre en question la liberté de choix de cette femme. Il ne s'agit pas non plus de tomber dans la censure ou le conservatisme. Il s'agit plutôt de s'interroger sur ce qui peut sous-tendre ce genre de choix. Comment en arrive-t-on sérieusement à faire croire à une athlète olympique que d'être dévaluée de cette façon est le meilleur choix pour promouvoir une carrière sportive? Et en quoi est-ce pertinent pour un média d'inclure de telles photos dans sa couverture des Jeux olympiques? Quel impact la multiplication de telles images a-t-elle sur la représentation que l'on se fait des femmes?

Quoi qu'en disent ceux qui voudraient faire passer ce genre de photos à l'esthétique porno pour de l'ironie féministe, j'y vois avant tout un triste recul. Comme si, encore et toujours, hors de l'image de la femme-objet, il n'y avait point de salut. Comme si, hors de la «burqa de chair» (dixit Nelly Arcan), cette camisole de force que des femmes enfilent librement pour répondre aux diktats de la séduction, on avait encore beaucoup de mal à représenter la féminité.

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Une bonne façon de prendre conscience de ce sexisme pernicieux, c'est d'inverser les rôles. Ce procédé, de plus en plus populaire, a généralement l'effet d'un électrochoc. On l'a vu dans le court métrage français Majorité opprimée, devenu viral sur les réseaux sociaux, qui raconte une journée dans la vie d'une société sexiste dominée par les femmes.

L'an dernier, TV5 Monde a utilisé un procédé semblable dans des bandeaux publicitaires ironiques visant à faire prendre conscience des inégalités hommes-femmes. On y lit des phrases comme «Les femmes dirigent 90% des États dans le monde?! *» Au bas du bandeau, en tout petit, à côté d'un astérisque, on nous explique que c'est évidemment l'inverse. Les hommes dirigent 90% des États. Les hommes? Bof! Normal...

On sursaute en lisant des trucs ironiques comme «À travail égal, les femmes gagnent plus que les hommes?!» ou «Les femmes occupent 80% des postes de direction d'entreprise dans le monde?!». Mais l'inverse - c'est-à-dire la réalité - nous fait trop souvent hausser les épaules. Pourquoi?

Maintenant, faites le test. Échangez la joueuse de curling sur la photo dont je parlais plus haut pour un athlète masculin presque nu dans la même posture... Vous comprendrez tout de suite que le sexisme ordinaire peut être d'une bêtise extraordinaire.

Photo Archives La Tribune

La joueuse de curling russe Anna Sidorova.