Ainsi, pour répondre aux inquiétudes de résidants du Village gai, le maire Denis Coderre dit vouloir «lancer le débat» sur l'installation de caméras de vidéosurveillance.

Y a-t-il un lien entre la baisse de la criminalité et la mise en place de caméras? C'est la question que le maire prétend vouloir poser aux Montréalais. Il ne veut pas de consultation formelle devant l'Office de consultation publique de Montréal. Il veut simplement entendre les citoyens, par l'entremise des conseils d'arrondissement ou au conseil de ville.

Avant même que cette «consultation» n'ait lieu, le maire Coderre a déjà tranché. «On a besoin d'avoir plus de vidéosurveillance. Mais je veux m'assurer qu'il y a un cadre légal pour qu'on puisse protéger les renseignements personnels.»

Quant aux coûts de cette initiative, il n'y a pas lieu de s'inquiéter. «On a toujours de l'argent pour la sécurité des gens», a lancé le maire.

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S'il veut installer plus de caméras au centre-ville, le maire a raison de ne pas faire de consultation formelle sur le lien entre la vidéosurveillance et la baisse de la criminalité. Car ce lien est plus que contesté. Une consultation sérieuse risquerait de mettre à mal son idée de départ. Elle montrerait, comme l'ont déjà découvert nombre de chercheurs, que la vidéosurveillance est peu efficace pour réduire la criminalité. Elle peut certes être utile dans la conduite d'enquêtes. Mais elle est d'une utilité très contestée pour prévenir des crimes.

En 2004, à la suite d'une réelle consultation publique sur le sujet, la Commission d'accès à l'information (CAI) nous mettait en garde contre la tentation de n'installer des caméras de vidéosurveillance «que pour céder à la pression officielle ou publique». Les conclusions du rapport étaient sans appel. «La surveillance vidéo ne contribuant pas de façon incontestable à la diminution de la criminalité et donnant un faux sentiment de sécurité au public ne devrait pas être retenue.»

Le rapport rédigé par Me Michel Laporte rappelait qu'aux États-Unis, la prolifération de systèmes de surveillance électroniques n'a pas entraîné une diminution de la criminalité ou du nombre de fusillades dans les écoles.

Il ne s'agit évidemment pas de remettre en cause l'utilisation de la vidéosurveillance dans des situations où la sécurité publique ou la sûreté de l'État sont incontestablement en jeu. Mais son utilisation devrait demeurer une mesure exceptionnelle, rigoureusement encadrée pour des motifs précis et graves et appuyée par une solide documentation afin de ne pas faire reculer les droits des citoyens, lit-on dans ce rapport.

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Dix ans plus tard, on constate que ce qui devrait, dans un monde idéal, être une mesure exceptionnelle est généralisé. «Nous vivons dans une société de vidéosurveillance. On ne peut pas renverser la tendance», me dit Christian Boudreau, professeur à l'École nationale d'administration publique. «Il est très difficile de marcher trois coins de rue au centre-ville de Montréal sans être filmé!»

Les caméras sont partout. C'est l'un des mécanismes de sécurité qui connaît la plus forte progression dans le monde. Et ce, malgré la vive opposition de chercheurs comme M. Boudreau, de «chiens de garde» des droits et libertés ou de journalistes sceptiques comme moi.

Nous vivons dans une société apeurée qui réclame elle-même d'être surveillée, malgré toutes les dérives que cela entraîne, souligne M. Boudreau, qui a mené plusieurs recherches sur la vidéosurveillance.

Pourquoi les gens acceptent-ils docilement d'être surveillés? Surtout parce qu'ils ont peur. Les actes de terrorisme et les autres crimes violents très médiatisés nourrissent constamment la peur. Si bien que, même si la criminalité est en constante baisse au pays, les gens ont l'impression de vivre dans un monde de plus en plus dangereux. Leur perception devient la réalité.

Aveuglée par la peur, la population se soucie peu des risques potentiels liés à la vidéosurveillance. Qui aura accès à ces images? À quelles fins? On ne pose même pas ces questions. Au nom de la sécurité, on abandonne son droit à la vie privée.

Ainsi, pour certains, la peur, même non fondée, justifie tous les moyens. Elle donne une légitimité à la surveillance et au contrôle social. Pour nombre de politiciens, cela devient une source importante de capital politique. «Dans cette approche populiste, les politiciens se font l'écho d'une opinion publique effrayée et indignée», écrit le professeur Boudreau dans un article récent.

Si elle ne permet pas de prévenir les crimes, la vidéosurveillance sur demande apparaît comme un outil efficace pour rassurer les gens. Un super placebo qui permet à des politiciens d'exploiter la peur des citoyens en leur montrant qu'ils s'occupent d'eux.

Ça, le maire Coderre semble l'avoir bien compris.