J'entendais la semaine dernière le président de la Commission des institutions faire une mise en garde aux citoyens venant présenter des mémoires aux audiences publiques sur la laïcité, «vu la teneur de certains propos».

«Je ne tolérerai aucun propos blessant, insultant ou injurieux», a-t-il dit, en invoquant le règlement de l'Assemblée nationale. Le débat en est un très émotif, mais cela ne doit pas empêcher quiconque d'exprimer son point de vue de façon respectueuse, a-t-il rappelé.

Comme pour la laïcité, on est d'accord sur le principe. Le problème, c'est son application. Où et comment tracer la ligne? Où s'arrête la liberté d'expression et où commence l'injure? À partir de quand le débat devient-il dérapage? Est-ce que le désormais célèbre témoignage des Pineault-Caron fait partie de la catégorie «propos blessants, insultants ou injurieux» ?

Dans un débat aussi polarisé, sur des enjeux aussi délicats, les vérités des uns sont les injures des autres et vice-versa. Les couteaux volent bas. Intégriste! Raciste! Nazi! Une fois le point Godwin atteint - ce moment inévitable du débat qui s'enlise où quelqu'un fait un parallèle outrancier avec Hitler -, c'est malheureusement irrécupérable.

La polémique autour de la Charte broie les nuances. Elle crée des malaises. Elle fait surgir de nouvelles lignes de fractures, qui ne sont pas toujours là où on les attend. Il n'est pas si facile de prédire de quel côté du débat se rangent les gens que l'on croit connaître.

On sait que tout ce qui traîne se salit. Après des mois de discussions qui tournent souvent en rond, le débat divise des couples, des familles, des amis, des générations. Des mères sont en froid avec leur fille. Des féministes s'entredéchirent. Pour survivre à la dispute, certains ont choisi de déclarer un moratoire sur le sujet. Pour d'autres, il s'agit d'un douloureux point de rupture.

J'ai reçu quelques lettres de rupture de lecteurs pro-Charte déçus que mon point de vue ne colle pas au leur. On sait bien, à La Presse,... la rumeur court que les chroniqueurs n'ont pas vraiment le choix d'être contre la Charte. Complices d'un grand complot islamiste, nous aurions tous été enrôlés pour faire de la propagande multiculturaliste anti-Charte et anti-PQ. Les quelques dissidents parmi nous qui oseraient aller à l'encontre de la «ligne de parti» le feraient à leurs risques et périls.

Désolée pour les amateurs de complots, mais la réalité est autrement plus ennuyeuse. Le fait que, dans le débat sur la Charte, l'opinion de la majorité des chroniqueurs relevant de la rédaction de La Presse corresponde à quelques nuances près à la ligne éditoriale du journal est dû avant tout à un concours de circonstances.

Les mêmes sceptiques qui nous croient enrôlés oublient que, durant le conflit étudiant, nous avons vécu la situation inverse. La majorité des chroniqueurs de la rédaction (j'en suis) étaient en désaccord avec l'opinion exprimée dans les pages éditoriales et ne se sont pas gênés pour critiquer la position du Parti libéral dans ce conflit.

Même dans le débat qui nous occupe, le fait de s'opposer à la stratégie péquiste ne signifie pas pour autant qu'on adhère au point de vue légaliste des libéraux.

Personnellement, je suis en faveur d'une interdiction des signes religieux pour les employés qui ont un pouvoir de coercition. Car quand on est juge ou policier, on incarne le pouvoir de l'État. À mon sens, l'exigence d'une apparence d'impartialité peut se justifier dans un tel cas. Cela dit, je ne vois pas en quoi l'interdiction de tout signe religieux dans la fonction publique fait avancer l'égalité hommes-femmes ou la lutte contre l'intégrisme.

Si on veut vraiment lutter contre l'intégrisme, il me semble que l'on devrait commencer par abolir le financement par l'État des écoles-ghettos religieuses, une promesse du PQ complètement oubliée par le projet de loi 60. Au lieu de s'arrêter à ce que des gens portent sur leur tête, on devrait s'inquiéter davantage de ce qu'on met dans la tête des enfants.

Comme toute personne qui prend la parole publiquement dans ce débat, j'ai reçu mon lot d'insultes. On m'invite, bien sûr, à retourner dans «mon pays» ou «en Arabie», un classique dont je préfère rire. On m'invite à me taire, dans des termes un peu moins polis. Et quand je me tais - je n'ai pas écrit un mot au sujet de la Charte durant tout l'automne parce que j'étais malade -, on prend soin de m'envoyer des insultes préventives, juste au cas...

J'ai l'habitude des menaces et des injures que de très courageux anonymes m'envoient. J'essaie autant que possible de les ignorer. Car lorsqu'on s'attarde trop à ces propos agressifs, on finit par en surestimer l'importance et cela mine la qualité même des débats. «Face à l'ignorant, ne pas répondre est une réponse en soi», dit le proverbe arabe.

En même temps, je m'interroge toujours. En passant ces injures sous silence, en choisissant de les ignorer plutôt que de les dénoncer systématiquement, est-ce que je contribue à les banaliser? Je n'ai toujours pas la réponse.

Chose certaine, je suis plus choquée par les politiciens qui, volontairement ou non, exploitent ou alimentent la xénophobie d'une partie de la population pour arriver à leurs fins, que par la xénophobie elle-même, un phénomène universel pour lequel l'éducation est le meilleur remède.

(Note aux broyeurs de nuances: non, je ne crois pas que la Charte du PQ ou l'ensemble de ses partisans soient xénophobes. Mais oui, je crois que le débat sur le projet de loi 60 donne une légitimité à des discours xénophobes et à de malheureux raccourcis).

Qu'on soit pro-Charte, anti-Charte ou s'en-fout-la-Charte, on doit s'entendre au moins sur une chose: le débat doit se faire dans le respect. Il faut dénoncer les menaces visant des femmes musulmanes en faveur du projet de loi 60 de la même façon qu'il faut dénoncer les actes et les propos intolérants dont ont été victimes des femmes voilées, devenues les boucs émissaires de ce débat. Personne ne devrait avoir à se taire parce que son point de vue déplaît.

Pour joindre notre chroniqueuse: rima.elkouri@lapresse.ca