Soeur Helen Prejean est le genre de bonne soeur avec qui vous auriez envie d'aller prendre une bière. La religieuse américaine, devenue célèbre après que son livre Dead Man Walking eut été porté à l'écran en 1996, a un charisme fou. Il fallait la voir, mardi, dans le sous-sol de la Place des Arts, ensorceler les gens venus assister à une répétition de l'Opéra de Montréal qui reprend son histoire (*).

Cheveux poivre et sel, lunettes brunes, veston noir austère, col roulé blanc et croix posée sur le coeur, soeur Helen Prejean n'est pas tout à fait la vraie jumelle de Susan Sarandon, qui a gagné un Oscar en l'incarnant. Elle rate rarement l'occasion d'en rire. «Elle me ressemble vraiment, hein?»

Grâce au film Dead Man Walking, soeur Helen est devenue sans le vouloir le visage le plus connu de la lutte contre la peine de mort. De septembre à mai, elle va de ville en ville pour raconter son histoire. L'histoire très poignante d'une religieuse de la Louisiane, éprise de justice, qui ne savait absolument pas dans quoi elle s'embarquait quand, en 1982, un ami lui a demandé si elle accepterait de correspondre avec un condamné à mort. «Sure!»

Quand elle a écrit «couloir de la mort» sur l'enveloppe, elle n'avait jamais mis les pieds dans une prison. Elle n'avait jamais rencontré un homme qui avait commis des crimes aussi horribles. Deux ans et demi plus tard, elle allait assister à l'exécution de cet homme, mort mille fois avant de mourir vraiment.

Cette nuit-là, en sortant de la chambre d'exécution, soeur Helen a vomi. Et elle s'est dit qu'il fallait à tout prix raconter cette histoire dans toute son horreur. «Il faut réveiller les gens! Ils dorment!»

Voilà donc 30 ans que la religieuse secoue des consciences endormies. Elle cite le nom des États qui ont aboli la peine de mort ces dernières années à la manière d'une fière conquérante. New York, New Jersey, Nouveau-Mexique, Illinois, Connecticut... Et bientôt le Maryland. En tout, cela fera bientôt 18 États sans peine de mort, se réjouit-elle.

Pourquoi teniez-vous à venir à Montréal, dans un pays où la peine de mort a été abolie? lui ai-je demandé. «Parce que les questions de droits de l'homme peuvent si facilement s'éroder.» Que l'on parle de terrorisme ou de torture, une fois que l'on passe ce seuil où on s'autorise à tuer ceux qui incarnent le mal, tout le reste s'écroule, dit-elle. «Le Canada n'est pas immunisé contre cela.»

Au-delà des lois, quand on aborde le débat sur la peine de mort, il y a ce «voyage intérieur des coeurs» qui rejoint tout le monde, dit-elle. «Encore et encore, quand des gens entendent parler d'un meurtre horrible d'une personne innocente, ils se disent: J'aurais tant aimé qu'on ait la peine de mort pour des gens comme ça.»

Cette réaction viscérale, on l'a sentie après l'horrible histoire de Guy Turcotte, qui a assassiné ses enfants (et a été reconnu non criminellement responsable). Quelques mois après le drame, 69% des Québécois se disaient favorables à la peine de mort, selon un sondage Angus Reid. Même si la mère des jeunes victimes, Isabelle Gaston, a elle-même fait un plaidoyer anti-peine de mort, la majorité de la population réagissait avec beaucoup moins de sagesse.

Que dit soeur Helen à ceux qui croient que le châtiment ultime est parfois justifié? Elle rappelle que la tentation de la peine de mort surgit toujours quand se produit ce genre de crimes terribles. «Mais qui est l'arbitre? Qui va décider pour quel crime terrible on l'applique?»

En théorie, la Cour suprême des États-Unis dit que la peine de mort doit seulement être appliquée pour «le pire du pire», rappelle-t-elle. Mais en pratique, l'application est tout à fait arbitraire. «Quand vous regardez qui la reçoit, ce sont surtout des gens pauvres qui ont tué des Blancs dans certains lieux.» Si vous cherchez l'équité et la justice, vous n'en trouverez pas dans un tel système, avertit-elle.

À travers l'histoire de soeur Helen transposée dans l'opéra Dead Man Walking, les spectateurs seront invités à s'immerger au coeur de ce débat très émotif, comme s'ils faisaient partie du jury. Ils devront faire face à l'horreur du crime, rencontrer les victimes, rencontrer le meurtrier. Le voyage au bout de la nuit de la religieuse deviendra le leur.

Lorsqu'ils plongent dans un drame aussi poignant, la plupart des gens se sentent ambivalents, observe soeur Helen. «D'un côté, il y a l'indignation devant la mort de gens innocents. Et il y a une partie de nous, de chacun de nous, qui se dit: ces gens méritent de mourir pour ce qu'ils ont fait.»

«Mais est-ce que ça apaise vraiment une famille d'attendre 15 ou 20 ans pour ensuite venir regarder l'État tuer celui qui a tué un être cher? demande la religieuse. Le fait d'assister à cela est-il censé les consoler? Qu'arrive-t-il à ces familles? Il faut amener le public à y être, l'inviter dans la vie de ces gens bien réels.»

Soeur Helen déplore le fait que l'on instrumentalise la souffrance des familles des victimes - par ailleurs de plus en plus nombreuses à demander que l'on ne tue pas en leur nom. «D'une certaine façon, la peine de mort aux États-Unis est une sorte de crime d'honneur», dit-elle. Dans les procès de peine capitale, c'est le message que le procureur envoie au jury: «Regardez cette famille. Nous lui devons ça. [...] Infliger quoi que ce soit d'autre que la mort reviendrait à la déshonorer.»

Comment se fait-il qu'on accepte encore ces crimes «d'honneur» si déshonorables dans 33 États américains? Comment se fait-il qu'une nation civilisée en soit encore là? «Nous l'acceptons de la même façon que nous tenons pour acquis qu'il y a des gens pauvres, croit soeur Helen. Cela ne nous scandalise pas. On ne le prend pas au sérieux pour que cela change. Et nous sommes si habitués à utiliser la violence. Nous l'avons fait avec les Indiens. Nous l'avons fait avec les esclaves. La violence est imbriquée dans notre identité lorsqu'il s'agit de régler des problèmes sociaux.»

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(*) L'opéra Dead Man Walking de Jake Heggie sera présenté à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts, les 9, 12, 14 et 16 mars 2013 à 19 h 30. www.operademontreal.com/fr/