Sylvain Carbonneau est facteur. Il l'était, du moins, jusqu'à son congédiement. Un genre de facteur du village, très apprécié dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce. Un gars qui se met en quatre pour faire plaisir aux résidants.

En cinq ans, Sylvain avait réussi à tisser un lien de confiance avec les citoyens du village Monkland. Pour lui, ils n'étaient pas que des numéros. Il les saluait en souriant. Il faisait des blagues. Il prenait des nouvelles. Il en donnait aussi. Certains savaient que la mère de ses enfants avait été emportée par un cancer l'an dernier. Et puis, Sylvain? La vie? Les enfants? J'ai essayé une nouvelle recette de sucre à la crème. Vous voulez goûter?

Sylvain aimait plus que tout ce contact avec les gens. Il s'intéressait à eux. Il leur rendait service. Il savait qui vivait des moments difficiles, qui avait un nouveau-né au sommeil fragile, qui n'aurait jamais le temps de se rendre au bureau de poste pour récupérer un colis. Il essayait toujours de simplifier la vie des gens. Avec leur permission, il lui arrivait de signer à leur place le formulaire de réception d'un colis. Pour éviter d'avoir à réveiller le bébé qui dort enfin. Pour éviter que la dame qui fait de l'arthrite ait à courir au bureau de poste... Vous voyez un peu le genre. Tout le contraire de l'image cliché que l'on peut se faire d'un fonctionnaire.

Mais voilà, le 15 novembre, Sylvain Carbonneau a été congédié par Postes Canada. Une résidante triste d'avoir perdu son facteur préféré m'a appelée, incrédule, presque en état de choc. Où donc était passé son facteur? Comment quelqu'un d'aussi serviable pouvait-il être renvoyé?

Si je me fie à sa lettre de congédiement, Sylvain a été mis à la porte après que son patron eut découvert qu'il avait laissé un colis sur le balcon d'une dame et signé le formulaire pour elle. Ce premier colis «suspect» a mené à une enquête. Au bout de l'enquête, on a découvert que Sylvain avait fait la même chose avec d'autres colis. On a aussi découvert, imaginez-vous donc, qu'un dépliant du député Marc Garneau qui aurait dû être distribué ce jour-là brillait par son absence dans deux des boîtes aux lettres de la route du facteur. Deux! Ô scandale...

À son patron, Sylvain a expliqué qu'il avait signé à la place de ses clients parce que ceux-ci lui avaient donné la permission de le faire. Il a dit qu'il l'avait fait sans mauvaise intention, simplement dans le but de donner un bon service et d'éviter que les gens aient à se déplacer pour récupérer leur colis. Il a dit regretter cette situation. Pour ce qui est du scandale des deux dépliants manquants, il a expliqué qu'il s'agissait d'un cas où la même famille avait deux adresses et préférait recevoir les dépliants à un seul endroit.

Ses explications n'ont pas impressionné son superviseur. Non plus que les lettres d'appui de clients confirmant qu'ils étaient d'accord pour que le facteur signe à leur place. Sylvain devait laisser son sac de facteur et sa casquette puis partir. On a jugé qu'il avait commis des «fautes graves». Assez graves pour que ce père de famille, apprécié du quartier pour son bon travail, perde son gagne-pain quelques semaines avant Noël.

Dans le village Monkland, une pétition a circulé. Rendez-nous notre facteur! La comédienne Andrée Lachapelle, résidante du quartier, s'est rendue elle-même au bureau de poste pour protester contre ce renvoi injuste. «J'étais très fâchée! Je trouve ça inadmissible! Ce facteur est formidable. On ne renvoie pas des gens aussi cavalièrement. C'est absolument injuste!», m'a-t-elle dit.

La mère de famille et avocate dont le colis «suspect» retrouvé devant la porte a été utilisé comme premier motif de congédiement était aussi choquée d'apprendre que son facteur avait été renvoyé. Elle s'était entendue avec lui pour qu'il laisse le colis devant la porte afin d'éviter de sonner et de réveiller son bébé. Elle appréciait le fait qu'il fasse l'effort d'offrir autre chose qu'un service impersonnel. «C'est vraiment dommage qu'il ait été congédié. J'espère que Postes Canada reviendra sur sa décision.»

Des dizaines de résidants indignés ont aussi envoyé des lettres à Postes Canada. «Au tribunal des citoyens, M. Sylvain Carbonneau est non seulement innocent, mais il mérite les excuses de la part de ceux qui l'ont jugé trop sévèrement en ayant comme modèle un facteur robotisé, faisant son travail machinalement et sans intelligence, tout à l'opposé de ce que souhaitent les citoyens», a dit à son sujet l'écrivain Marco Micone.

Et puis? Et puis, rien. Officiellement, Postes Canada dit vouloir travailler pour satisfaire ses clients et même «dépasser leurs attentes». Mais si c'est le cas, comment expliquer que la société d'État mette à la porte, sans avertissement, un employé qui n'a fait que répondre aux demandes de ses clients?

Postes Canada n'a que peu de choses à dire à ses clients déçus. «Je ne peux que confirmer qu'il y a eu congédiement», m'a dit la porte-parole. Elle s'est empressée d'ajouter que, s'il se sentait lésé, le facteur avait des recours et qu'on allait «poursuivre le dialogue». Elle a précisé que les cas de congédiement ne sont jamais pris à la légère et doivent être motivés par des «fautes graves».

À quelques jours de Noël, Sylvain est anéanti et amer. À regret, il a dû annoncer à ses enfants qu'ils n'auraient pas de cadeaux cette année. «J'avais tout. Je n'ai rien», m'a-t-il dit, découragé. Il m'a remis une pile de lettres d'appui des résidants du quartier, toutes plus touchantes les unes que les autres. Comme la lettre de cette dame qui raconte comment Sylvain lui a remonté le moral alors qu'elle combattait un cancer.

Ce n'est pas vrai que vous n'avez rien, Sylvain. Vous avez tous ces gens qui considèrent que la faute la plus grave, dans cette histoire, c'est d'avoir congédié un si bon facteur.